Pour Bati Croce, « toute vérité est bonne à dire »

Rédigé le 04/12/2025
Philippe Jammes

Depuis quelques années le journaliste bastiais Jean-Baptiste Croce fait en quelque sorte partie du calendrier de l’Avent avec la publication, très attendue, au mois de décembre d'un recueil de ses chroniques qui paraissent tout au long de l’année dans le « quotidien unique ». Après « En toutes confidences » (2022), « Intimes confessions » (2023) et « N’en déplaise à certains » (2024), le petit dernier, « Toute vérité est bonne à dire », vient de paraître. Et cette vérité il l’a confiée à CNI.


- Ce volume 4*, semble plus grinçant, avec un prologue incisif ?
- Oui, d’où le titre. Il y a en effet des choses qui me fâchent comme les coupes sombres dans les subventions, et la culture trinque comme toujours. Dans le prologue je dénonce cette atteinte à la culture, une culture pour moi menacée alors qu’elle doit être le ciment républicain. Tous les gens qui font des festivals pour enrichir la diversité, des bénévoles à 90%, au lieu d’être soutenus se retrouvent victimes d’un système qui les dépasse et doivent se débrouiller. Pour les politiques, la culture est un loisir et il y a des pans entiers qui tombent. En deux ans, pour ne parler que de ce milieu que je connais très bien, quatre festivals italiens ont fermé à Paris, Nice, Annecy et Tours, faute de subventions car les collectivités locales ont décidé que cela ne les intéressait plus ! En Corse cela se passe aussi, et certains festivals jusque-là gratuits doivent faire payer les entrées. La culture est un bouc émissaire.
 
- Dans ce livre, vous nous apprenez que s’il n’y a jamais eu de BD « Tintin en Corse », par contre beaucoup de ses aventures ont été écrites sur notre île …
- Hergé était en effet un habitué de la Corse et il y a écrit plusieurs de ses bandes dessinées. Il est venu une 1ère fois en 1935, puis y a séjourné de façon régulière entre 1960 et 1970. Il descendait à l’hôtel Méditerranée et s’était lié avec le propriétaire des lieux : Daniel Damiani. Hergé lui avait dédicacé un dessin sur lequel le fameux capitaine Haddock vantait la Corse. Hergé a aussi avoué à des journalistes de Bruxelles que pour dessiner l’Île Noire, album paru en 1938, il avait pris pour modèle la Giraglia située à la pointe du Cap Corse. Il se serait aussi inspiré du golfe d’Ajaccio et des îles sanguinaires pour le Sceptre d’Ottokar.

- Autre révélation surprenante que vous rapportez dans ce nouveau volume : Victor Hugo parlait corse !
- Effectivement ! Enfant, Victor Hugo habitait près de l’église Ste Marie à la Citadelle de Bastia et a appris à parler corse avant même de prononcer ses premiers mots en français. Son père était militaire et avait été muté à Bastia. Il y était venu sans sa femme, qui avait un amant à Paris, mais avec ses trois enfants, et leur gouvernante. Victor avait tout juste 1 an. Son père ayant pris une maitresse originaire de Cervione, Maria Catalina, sa femme l’ayant quitté. Victor apprit le corse sur les genoux de Maria Catalina. Marqué par la séparation de ses parents lors de cette période bastiaise, il ne parla que très peu de la Corse.

- Un autre écrivain, qui, pour paraphraser Brassens, trempait sa plume dans l’encre bleue du golfe de St Florent, n’a jamais parlé de la Corse dans ses livres…
- S’il est un homme aux mille vies qui a vraiment aimé notre île, c’est bien Jean D’Ormesson. J’avais eu le plaisir de l’interviewer dans sa villa de St Florent et il m’avait avoué qu’il n’avait jamais trouvé d’endroit plus merveilleux que notre région. Il y était venu pour la 1ère fois à l’âge de 18 ans. Chaque fois que son emploi du temps lui laissait un peu de répit, l’Immortel séjournait au cœur de la Conca d’Oru. Quand on lui demandait pourquoi la Corse n’apparaissait pas dans ses livres il répondait : « J’aurais peur de l’abîmer » !  

- Spécialiste du cinéma, vous révélez, chiffres à l’appui, que le cinéma corse ne fait pas recette sur le continent.
- Le cinéma corse produit de très beaux films et personnellement, je l’adore. Même la presse continentale en fait éloge. Mais si on consulte le box-office, on constate que s’il remplit les salles sur notre île, ce n’est pas le cas sur le continent. Les films sur les voyous sont loin d’attirer les foules au plan national. Je pense sincèrement que le fameux culte du voyou est tellement présent et attractif dans la mémoire collective corse que beaucoup de spectateurs locaux sont avides de ce genre de films. En revanche, on s’aperçoit avec ces chiffres que les cinéphiles non corses n’ont que faire de nos problèmes liés à la criminalité et à politique. Par contre, les comédies, comme celles d’Éric Fraticelli, cartonnent et de nombreux acteurs insulaires s’exportent bien.

- Au passage, vous égratignez le Festival de Cannes au sujet du cinéma italien…
- Depuis 15 ans, Thierry Frémaux, le grand patron du Festival de Cannes, ne sélectionne qu’une infime minorité de films réalisés en Italie. Depuis 2010, on constate en effet qu’à part six réalisateurs, les seuls qu’il tient apparemment en estime, aucun autre cinéaste italien n’a jamais eu droit de figurer dans la fameuse sélection officielle. Loin de moi l’idée de remettre en cause le talent de ces six réalisateurs, mais il est anormal, voire scandaleux; de ne jamais privilégier d’autres excellents cinéastes italiens.

- Ce qui nous amène à évoquer la 38e édition du festival italien de Bastia...
- Ce que je peux déjà vous révéler c’est qu’elle débutera le 31 janvier 2026. Le président du jury sera l’acteur Cédric Appietto et qu’en ouverture nous projetterons Francesca et Giovanni, un film de Ricky Tognazzi, le fils d’Ugo et Simona Izzo, sur le juge Falcone. Déjà sorti en Italie, le public bastiais sera le 1er à le découvrir en France. Nous aurons ce jour-là une journée consacrée à la mafia, avec notamment une conférence de la Dante Alighieri en présence du biographe officiel du juge Falcone. En ouverture aussi Julia Knecht et sa Cantate.
 
*« Toute vérité est bonne à dire » est en vente exclusive à la librairie Alma de Bastia où l’auteur dédicacera son livre et rencontrera ses lecteurs ce vendredi 5 décembre de 17h30 de 19 heures.