Modification du cahier des charges de l’AOP Brocciu : les inquiétudes de Casgiu Casanu

Rédigé le 06/07/2025
Léana Serve

Au lendemain de la prise de parole du syndicat agricole Mossa Paisana, l’association régionale des producteurs de fromages fermiers de Corse s’oppose à son tour au projet de modification du cahier des charges de l’AOP Brocciu. En ligne de mire : un allongement du délai de transformation du lactosérum, qui, selon ses représentants, remettrait en cause la qualité et l’identité du produit.

Après Mossa Paisana, c’est Casgiu Casanu qui monte au créneau contre la modification du cahier des charges de l’AOP Brocciu. Au lendemain de la prise de parole du syndicat agricole, qui a exprimé “de lourdes inquiétudes quant à l’avenir de la filière fermière, de la production laitière insulaire et du lien vivant entre le produit et son territoire”, c’est au tour de l’association régionale des producteurs de fromages fermiers de Corse de faire entendre sa voix. Ce vendredi, Nelly Lazzarini, présidente de Casgiu Casanu, et Jean-François Brunelli, éleveur ovin et ancien président de l’AOP Brocciu, ont exprimé leurs inquiétudes face au projet de modification du cahier des charges de l’appellation, actuellement en discussion au sein du conseil d’administration de l’AOP Brocciu.
 

La principale source de tension repose sur un projet d'allongement du délai de transformation du lactosérum, qui passerait alors de 40 à 72 heures. Ce délai, aujourd’hui strictement encadré, permet de garantir l’utilisation de lait frais dans la fabrication du brocciu. “Au-delà de 40 heures, on perd la fraîcheur. À 72 heures, le lait n’est plus considéré comme frais par la réglementation, parce qu’il n’est plus consommable en l’état. Il doit donc être pasteurisé pour être transformé”, explique Nelly Lazzarini. Mais pour les opposants à ce projet, cette étape dénature complètement le produit. “Si on doit le pasteuriser, ce n’est plus du brocciu, c’est un autre produit”, lance-t-elle.
 

Pour les producteurs, ce changement ne profiterait qu’à un seul collège : celui des industriels. “Ça va forcément avoir un impact sur la filière, mais ça ne va rien apporter aux producteurs fermiers, parce que ça ne va pas vers la qualité. Moins le lait est frais, et plus on perd de la qualité. L’allongement du délai de transformation du lactosérum va avoir une incidence sur le produit, qui ne sera plus traditionnel.” L’association dénonce également la manière dont ces modifications sont introduites. “L’organisme de gestion de l’AOP Brocciu indique qu’il souhaite profiter des changements qui vont être faits, comme la reconnaissance des parcours pastoraux en chênaies et châtaigneraies, pour allonger le délai de transformation. Mais on n’est pas d’accord, parce que ça n’a pas été discuté, et que ça va toucher à un produit corse.”
 

Le brocciu, un “produit emblématique” menacé
 

Au-delà du délai de transformation, Casgiu Casanu s’inquiète plus largement d’un changement progressif dans la filière, au détriment des producteurs fermiers. “On accepte déjà qu’il y ait du fromage corse fait sans lait corse. Il y a six millions de litres de lait qui entrent chaque année de l’extérieur pour fabriquer des fromages estampillés ‘corses’”, rappelle Nelly Lazzarini. “Le brocciu est le seul à être encore protégé par une AOP. Ce n’est pas pour que, maintenant, on vienne aussi le fragiliser avec des pratiques qui vont à l’encontre de la qualité.”
 

L’association redoute alors une disparition de la spécificité du produit et de son ancrage local. “Le brocciu, ce n’est pas juste un fromage : c’est un emblème de la Corse. Il est mentionné dans des récits, des légendes, des livres d’histoire. Ce n’est pas comme si on venait de créer un produit, c’est pour ça qu’on ne veut pas le perdre. Si les industriels ont besoin de plus, ils peuvent faire de la brousse. Il y a déjà 120 tonnes de brousse sur la Corse et à peine 200 tonnes de brocciu. S’ils ont déjà une plus-value sur la brousse, pourquoi vouloir modifier le cahier des charges du brocciu ?”

À travers cette prise de parole, l’association vise aussi à alerter la population. “On voulait communiquer haut et fort, mais même aux Corses, parce qu’on trouve que le brocciu est un produit emblématique et qui fait partie de l’île. Aujourd’hui, on ne s'adresse pas qu'aux éleveurs, on s'adresse aussi à la population en général, et on va essayer de porter le produit vers le haut le plus longtemps possible. Sinon, ça devient n'importe quoi.” L’association souhaite maintenant se faire entendre au sein des instances officielles, en rencontrant notamment la commission d’enquête mandatée par l’Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) pour examiner les pratiques sur le terrain. “On veut discuter avec eux pour leur exprimer notre position sur le report de 72 heures. Des réunions terrain vont aussi être organisées par l'AOP Brocciu, et on invite les gens à venir s'exprimer librement. Ensuite, on verra, mais en tout cas, on veut être entendus, parce que ça touche la culture, la société et c'est grave.”