Dans le cadre de Corsica Pruspettiva 2050, la Présidence de l’Assemblée de Corse organisait, le 26 novembre à l’auditorium du musée de Bastia, sa quatrième conférence sur les grands enjeux de demain. Après les dynamiques démographiques, l’adaptation au changement climatique et les mobilités, ce colloque traitait des mutations du travail, des risques et des opportunités. Avec comme tête d’affiche : Philippe Askenazy, économiste du travail et de l'innovation, Directeur de recherche au CNRS au Centre Maurice Halbwachs (ENS Paris) et fellow de l'Institute for Labor Economics de Bonn. Il explique à Corse Net Infos que la principale mutation du travail est la perte d’autonomie et un contrôle permanant des salariés.
- Quelle est la principale mutation du travail à laquelle nous devons faire face en ce début du 21ème siècle ?
- C’est une question qui est loin d’être évidente. Le point, sur lequel j’insisterai, est une forme de perte d’autonomie pour beaucoup de travailleurs. Pas d’autonomie au sens physique, mais d’autonomie dans leur travail. La promesse, que les technologies donneraient un travail plus libéré, se traduit aujourd’hui par plus de contrôle des travailleurs à tous les niveaux, que ce soit un contrôle directement technologique, un contrôle à travers du reporting, des éléments de surveillance et finalement, au bout du bout, derrière un discours général, des situations où le travailleur est extrêmement contrôlé. Cela, à la fois dans des activités classiques industrielles ou dans des activités de services. Les salariés se trouvent face à une perte de leur autonomie dans leur organisation des temps de travail et des tâches. C'est l'un des éléments d'un certain malaise au travail qui touche une majorité des salariés.
- Le confinement et les mutations technologiques ont-elles radicalement changé ce rapport au travail ?
- Sur cette question du manque d’autonomie, on ne peut pas dire que le confinement ait fondamentalement changé la donne. Si on regarde les conséquences de la COVID, principalement le développement du télétravail qui concerne 20 % des salariés, ceux-ci ont peut-être gagné en termes d’autonomie de leur temps de travail, en revanche ils continuent d’être extrêmement contrôlés. Cela demeure un élément d’autonomie partielle. Ce qu’a changé la COVID, c’est le rapport à son travail et à l’emploi et aussi à une partie du discours qui disait que l’entreprise s’occupait de vous. « Vous n’êtes pas autonomes, mais on s’occupe de vous ». Ce qui pouvait être vrai au niveau de l’administration. Beaucoup de salariés, qui se sont retrouvés, soit avec la perte de leur emploi, soit confinés chez eux sans plus de contacts avec leurs employeurs, et la troisième catégorie, les travailleurs de la première ligne, n’ont pas été vraiment protégés contre la pandémie. Il y a eu une prise de conscience, et cette promesse d’un employeur bienveillant s’est en quelque sorte fracassée. Cet aspect-là va ouvrir le regard des travailleurs vis-à-vis de leur travail. Pas tout le monde, mais beaucoup ont été, du fait de la pandémie et des confinements, face à la réalité de leur travail.
- La jeunesse ne vit plus le travail comme une source d’épanouissement, mais comme une nécessité financière. Le travail est-il dévalorisé ? A-t-il perdu son attractivité ?
- Ce discours du rapport des jeunes au travail est un peu récurrent. À la sortie de Mai 68, on disait déjà que la jeunesse aurait un regard différent sur le travail, qu’elle refuserait le travail manuel, etc. Des études plus tardives ont montré que ce n’était pas le cas. Les jeunes de cette époque-là sont aujourd’hui proches de la retraite, c’est eux que l’on dit avoir été attachés au travail en comparaison de la jeunesse actuelle qui en serait séparée. Il faut toujours faire attention avant de dire qu’il y a un changement fondamental de comportement. On accuse souvent la jeunesse d’être différente. En revanche, ce que l’on peut dire, c’est que le discours managérial vis-à-vis des jeunes est vu comme artificiel. D’autant plus que l’entreprise ou l’administration laisse de côté des éléments de leurs préoccupations qui sont extrêmement diverses, comme l’angoisse environnementale, l’inaction climatique, etc. Une partie des jeunes ne retrouve pas ces facteurs-là sur leur lieu de travail. On assiste aussi à la décomposition du collectif. Le travail n’a pas de réflexion sur les questionnements des jeunes et ce n’est pas un lieu où l’on peut se construire au sein d’un collectif de socialisation. Cela donne un regard différent par rapport au travail et surtout à l’employeur. Il n’y a pas nécessairement à y avoir de loyauté. On ne se dit pas : Je vais rester à tel emploi parce que je suis intégré dans une entreprise ou dans un collectif de travail. Ce n’est pas le regard vis-à-vis du travail, mais plutôt le regard vis-à-vis de l’employeur qui s’est modifié. Et l’on vient à l’aspect essentiellement alimentaire que représente le travail et qui peut être tout à fait réversible.
- C’est une question qui est loin d’être évidente. Le point, sur lequel j’insisterai, est une forme de perte d’autonomie pour beaucoup de travailleurs. Pas d’autonomie au sens physique, mais d’autonomie dans leur travail. La promesse, que les technologies donneraient un travail plus libéré, se traduit aujourd’hui par plus de contrôle des travailleurs à tous les niveaux, que ce soit un contrôle directement technologique, un contrôle à travers du reporting, des éléments de surveillance et finalement, au bout du bout, derrière un discours général, des situations où le travailleur est extrêmement contrôlé. Cela, à la fois dans des activités classiques industrielles ou dans des activités de services. Les salariés se trouvent face à une perte de leur autonomie dans leur organisation des temps de travail et des tâches. C'est l'un des éléments d'un certain malaise au travail qui touche une majorité des salariés.
- Le confinement et les mutations technologiques ont-elles radicalement changé ce rapport au travail ?
- Sur cette question du manque d’autonomie, on ne peut pas dire que le confinement ait fondamentalement changé la donne. Si on regarde les conséquences de la COVID, principalement le développement du télétravail qui concerne 20 % des salariés, ceux-ci ont peut-être gagné en termes d’autonomie de leur temps de travail, en revanche ils continuent d’être extrêmement contrôlés. Cela demeure un élément d’autonomie partielle. Ce qu’a changé la COVID, c’est le rapport à son travail et à l’emploi et aussi à une partie du discours qui disait que l’entreprise s’occupait de vous. « Vous n’êtes pas autonomes, mais on s’occupe de vous ». Ce qui pouvait être vrai au niveau de l’administration. Beaucoup de salariés, qui se sont retrouvés, soit avec la perte de leur emploi, soit confinés chez eux sans plus de contacts avec leurs employeurs, et la troisième catégorie, les travailleurs de la première ligne, n’ont pas été vraiment protégés contre la pandémie. Il y a eu une prise de conscience, et cette promesse d’un employeur bienveillant s’est en quelque sorte fracassée. Cet aspect-là va ouvrir le regard des travailleurs vis-à-vis de leur travail. Pas tout le monde, mais beaucoup ont été, du fait de la pandémie et des confinements, face à la réalité de leur travail.
- La jeunesse ne vit plus le travail comme une source d’épanouissement, mais comme une nécessité financière. Le travail est-il dévalorisé ? A-t-il perdu son attractivité ?
- Ce discours du rapport des jeunes au travail est un peu récurrent. À la sortie de Mai 68, on disait déjà que la jeunesse aurait un regard différent sur le travail, qu’elle refuserait le travail manuel, etc. Des études plus tardives ont montré que ce n’était pas le cas. Les jeunes de cette époque-là sont aujourd’hui proches de la retraite, c’est eux que l’on dit avoir été attachés au travail en comparaison de la jeunesse actuelle qui en serait séparée. Il faut toujours faire attention avant de dire qu’il y a un changement fondamental de comportement. On accuse souvent la jeunesse d’être différente. En revanche, ce que l’on peut dire, c’est que le discours managérial vis-à-vis des jeunes est vu comme artificiel. D’autant plus que l’entreprise ou l’administration laisse de côté des éléments de leurs préoccupations qui sont extrêmement diverses, comme l’angoisse environnementale, l’inaction climatique, etc. Une partie des jeunes ne retrouve pas ces facteurs-là sur leur lieu de travail. On assiste aussi à la décomposition du collectif. Le travail n’a pas de réflexion sur les questionnements des jeunes et ce n’est pas un lieu où l’on peut se construire au sein d’un collectif de socialisation. Cela donne un regard différent par rapport au travail et surtout à l’employeur. Il n’y a pas nécessairement à y avoir de loyauté. On ne se dit pas : Je vais rester à tel emploi parce que je suis intégré dans une entreprise ou dans un collectif de travail. Ce n’est pas le regard vis-à-vis du travail, mais plutôt le regard vis-à-vis de l’employeur qui s’est modifié. Et l’on vient à l’aspect essentiellement alimentaire que représente le travail et qui peut être tout à fait réversible.
- La semaine de quatre jours a-t-elle un sens ?
- Elle peut avoir un sens, mais plutôt en rapport avec le télétravail. On se retrouve, à la fois, avec la question de reconstruire des lieux de socialisation, de collectif, et la question de rendre plus présents sur leur lieu de travail ceux qui sont en télétravail, soit un actif sur cinq. On ne peut pas donner des éléments de souplesse avec le télétravail, s’il n’y a pas une forme de contrepartie. Finalement la semaine de quatre jours est aussi un passage nécessaire si on veut revenir sur le télétravail. Et puis pour ceux, 80 % qui ne sont pas concernés par le télétravail, cela pose, à pas mal d’entreprises, mais aussi aux administrations, des problèmes de justice et même des problèmes purement organisationnels au sein du collectif de travail. Dans la même entreprise, les cadres peuvent faire du télétravail, mais les opérateurs ou les professions intermédiaires n’ont pas accès au télétravail du fait de leurs tâches. Pour ces salariés, c’est une injustice, un avantage de travail que l’on donne aux autres. La semaine de quatre jours est un élément de réponse parce qu’on pourrait aligner l’ensemble des travailleurs autour de cette semaine de quatre jours qui n’est pas nécessairement une réduction du temps de travail, mais une organisation différente du temps de travail. Certaines entreprises font déjà l’expérience de réduire, soit le temps de travail en proportion du nombre de jours, soit de maintenir le même nombre d’heures travaillées dans la semaine et de les compacter sur quatre jours. Cette réflexion est fondamentalement liée à des questions de télétravail et à la volonté de faire revenir certains salariés sur leur lieu de travail, et d’éviter ainsi un déni d’injustice.
- Peut-on parler de perte de compétitivité sur le travail ?
- En France par rapport aux autres pays, non ! Toutes ces problématiques se retrouvent dans l’ensemble des pays avancés. Ce questionnement n’est pas particulier à la France. Lorsqu’on compare sur les grandes masses, sur les statistiques purement économiques de la productivité du travail, on ne voit pas de décrochage de la France par rapport à d’autres pays. Le problème est plus global, c’est celui des organisations productives dans nos économies capitalistes. Contrairement à tous les discours qui peuvent être entendus, je ne crois pas que la compétitivité française se joue sur la question du rapport au travail. Il y a une problématique du travail, mais qui est plutôt partagée au sein des pays avancés. Si l’on prend le cas américain, le malaise de la Working class américaine, qui a voté Trump, est aussi révélateur que les choses ne se passent pas non plus très bien là-bas. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs pour le monde du travail. Il y a des problématiques de compétitivité en France, mais elles ont d’autres types de sources que cette question de travail qui est très partagée.
- La question des salaires est-elle le défi majeur ? Le SMIC est-il trop bas ?
- Oui ! Je pense que cette question va véritablement émerger en France dans les deux ou trois années à-venir. Elle est sous-jacente. A-t-on une smicardation des salaires ? Serait-on dans une économie low cost avec des emplois mal payés, éventuellement peu productifs, et avec une déqualification des salariés ? Je pense que ce n’est pas totalement le cas au niveau européen. Il va falloir se projeter dans les années qui viennent parce que nos voisins, suite à la directive « Salaire minimum en Europe », vont très fortement augmenter leurs salaires minimum, que ce soit l’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne, par exemple. Ces pays limitrophes rentrent dans une stratégie en jouant sur ce véritable outil qu’est le salaire minimum pour, à travers les salaires, à part évidemment le salaire des agents publics, essayer de propulser, d’un point de vue qualitatif, leur économie qui va perdre peut-être des segments de compétitivité en termes de commerce extérieur. Leur but est d’obtenir éventuellement une plus grande productivité et de meilleures conditions d’emploi pour les salariés et créer ainsi des emplois de qualité. On verra à l'horizon 2027-2028 ce que feront nos voisins qui ont pris ce pari. Le risque est que l’économie française reste spécialisée dans les segments de faible valeur ajoutée et qu’elle arrive à un blocage par rapport à celles de nos voisins. Cette question salariale est présente au niveau du pouvoir d’achat, mais pas nécessairement en termes de compétitivité ou de manière extrêmement défensive.
- Cette mutation touche-t-elle de la même façon les territoires continentaux et des régions rurales, insulaires comme la Corse ?
- Je ne suis pas un spécialiste de l’économie insulaire. Ce que je peux dire, c’est que ces grandes transformations, surtout quand on parle de salaire minimum, touchent l’ensemble de la France ou d’un pays, quelques soient les structures territoriales. Évidemment, cela va s’appliquer de manière différente entre les territoires. Ces mutations, qui sont à l’œuvre, peut-être aussi faut-il les suivre pour en saisir les opportunités, que ce soit au niveau du télétravail ou de l’intelligence artificielle. Il n’y a pas un ultra déterminisme sur des politiques qui peuvent être menées localement. La mobilisation des acteurs locaux va aussi déterminer le futur du travail dans un territoire. Les choses ne sont pas écrites d’avance. Plutôt que de se concentrer sur les particularismes corses comme étant des obstacles, peut-être faut-il considérer ces particularismes et penser ce qu’on peut faire comme stratégie pour saisir les opportunités !
- L’intelligence artificielle (IA) fait peur. On craint qu’elle ne détruise les emplois. Est-elle le principal défi que le monde du travail devra affronter à l’avenir ?
- Absolument pas ! Je suis même dans une perspective inverse. Je pense que malheureusement l’intelligence artificielle ne donnera pas les gains tant attendus. Alors que, dans le même temps, on aura des besoins de main-d’œuvre absolument considérables sur une problématique de vieillissement de la population. Le vieillissement veut dire qu’il y a moins de personnes en âge actif, mais qu’aussi se pose la question du traitement de la dépendance. Et puis la question de la transition et de l’adaptation au changement climatique va nécessiter de la main-d’œuvre. Il faut penser aux qualifications nécessaires. Et c’est là que se joue la question du travail dans les années à venir. Finalement, l’IA va être une technologie importante, mais qui n’est pas en soi une menace. Là aussi, c’est mon leitmotiv, il faut la saisir comme une opportunité à utiliser pour des éléments pratiques et pour faire face à l’enjeu du changement climatique. L’intelligence artificielle est présente depuis quelques années au Japon, comme une technologie extrêmement poussée par le gouvernement. On ne voit pas du tout ce grand soir du travail. On voit plutôt des phénomènes nettement plus complexes que ceux que l'on avait pu anticiper. L’IA entraine un changement des tâches, pas du tout une situation où l’emploi disparaît. L’histoire montre que lorsque des grandes technologies apparaissent, il y a systématiquement cette peur que le travail disparaisse. Il y a une forme de répétition de l’histoire. J’avais commencé avec la répétition de l’histoire de Mai 68, pour les jeunes. L’IA pose des enjeux plus démocratiques avec un questionnant sur la manipulation de l’opinion, c’est autre chose que la disparition du travail.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Elle peut avoir un sens, mais plutôt en rapport avec le télétravail. On se retrouve, à la fois, avec la question de reconstruire des lieux de socialisation, de collectif, et la question de rendre plus présents sur leur lieu de travail ceux qui sont en télétravail, soit un actif sur cinq. On ne peut pas donner des éléments de souplesse avec le télétravail, s’il n’y a pas une forme de contrepartie. Finalement la semaine de quatre jours est aussi un passage nécessaire si on veut revenir sur le télétravail. Et puis pour ceux, 80 % qui ne sont pas concernés par le télétravail, cela pose, à pas mal d’entreprises, mais aussi aux administrations, des problèmes de justice et même des problèmes purement organisationnels au sein du collectif de travail. Dans la même entreprise, les cadres peuvent faire du télétravail, mais les opérateurs ou les professions intermédiaires n’ont pas accès au télétravail du fait de leurs tâches. Pour ces salariés, c’est une injustice, un avantage de travail que l’on donne aux autres. La semaine de quatre jours est un élément de réponse parce qu’on pourrait aligner l’ensemble des travailleurs autour de cette semaine de quatre jours qui n’est pas nécessairement une réduction du temps de travail, mais une organisation différente du temps de travail. Certaines entreprises font déjà l’expérience de réduire, soit le temps de travail en proportion du nombre de jours, soit de maintenir le même nombre d’heures travaillées dans la semaine et de les compacter sur quatre jours. Cette réflexion est fondamentalement liée à des questions de télétravail et à la volonté de faire revenir certains salariés sur leur lieu de travail, et d’éviter ainsi un déni d’injustice.
- Peut-on parler de perte de compétitivité sur le travail ?
- En France par rapport aux autres pays, non ! Toutes ces problématiques se retrouvent dans l’ensemble des pays avancés. Ce questionnement n’est pas particulier à la France. Lorsqu’on compare sur les grandes masses, sur les statistiques purement économiques de la productivité du travail, on ne voit pas de décrochage de la France par rapport à d’autres pays. Le problème est plus global, c’est celui des organisations productives dans nos économies capitalistes. Contrairement à tous les discours qui peuvent être entendus, je ne crois pas que la compétitivité française se joue sur la question du rapport au travail. Il y a une problématique du travail, mais qui est plutôt partagée au sein des pays avancés. Si l’on prend le cas américain, le malaise de la Working class américaine, qui a voté Trump, est aussi révélateur que les choses ne se passent pas non plus très bien là-bas. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs pour le monde du travail. Il y a des problématiques de compétitivité en France, mais elles ont d’autres types de sources que cette question de travail qui est très partagée.
- La question des salaires est-elle le défi majeur ? Le SMIC est-il trop bas ?
- Oui ! Je pense que cette question va véritablement émerger en France dans les deux ou trois années à-venir. Elle est sous-jacente. A-t-on une smicardation des salaires ? Serait-on dans une économie low cost avec des emplois mal payés, éventuellement peu productifs, et avec une déqualification des salariés ? Je pense que ce n’est pas totalement le cas au niveau européen. Il va falloir se projeter dans les années qui viennent parce que nos voisins, suite à la directive « Salaire minimum en Europe », vont très fortement augmenter leurs salaires minimum, que ce soit l’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne, par exemple. Ces pays limitrophes rentrent dans une stratégie en jouant sur ce véritable outil qu’est le salaire minimum pour, à travers les salaires, à part évidemment le salaire des agents publics, essayer de propulser, d’un point de vue qualitatif, leur économie qui va perdre peut-être des segments de compétitivité en termes de commerce extérieur. Leur but est d’obtenir éventuellement une plus grande productivité et de meilleures conditions d’emploi pour les salariés et créer ainsi des emplois de qualité. On verra à l'horizon 2027-2028 ce que feront nos voisins qui ont pris ce pari. Le risque est que l’économie française reste spécialisée dans les segments de faible valeur ajoutée et qu’elle arrive à un blocage par rapport à celles de nos voisins. Cette question salariale est présente au niveau du pouvoir d’achat, mais pas nécessairement en termes de compétitivité ou de manière extrêmement défensive.
- Cette mutation touche-t-elle de la même façon les territoires continentaux et des régions rurales, insulaires comme la Corse ?
- Je ne suis pas un spécialiste de l’économie insulaire. Ce que je peux dire, c’est que ces grandes transformations, surtout quand on parle de salaire minimum, touchent l’ensemble de la France ou d’un pays, quelques soient les structures territoriales. Évidemment, cela va s’appliquer de manière différente entre les territoires. Ces mutations, qui sont à l’œuvre, peut-être aussi faut-il les suivre pour en saisir les opportunités, que ce soit au niveau du télétravail ou de l’intelligence artificielle. Il n’y a pas un ultra déterminisme sur des politiques qui peuvent être menées localement. La mobilisation des acteurs locaux va aussi déterminer le futur du travail dans un territoire. Les choses ne sont pas écrites d’avance. Plutôt que de se concentrer sur les particularismes corses comme étant des obstacles, peut-être faut-il considérer ces particularismes et penser ce qu’on peut faire comme stratégie pour saisir les opportunités !
- L’intelligence artificielle (IA) fait peur. On craint qu’elle ne détruise les emplois. Est-elle le principal défi que le monde du travail devra affronter à l’avenir ?
- Absolument pas ! Je suis même dans une perspective inverse. Je pense que malheureusement l’intelligence artificielle ne donnera pas les gains tant attendus. Alors que, dans le même temps, on aura des besoins de main-d’œuvre absolument considérables sur une problématique de vieillissement de la population. Le vieillissement veut dire qu’il y a moins de personnes en âge actif, mais qu’aussi se pose la question du traitement de la dépendance. Et puis la question de la transition et de l’adaptation au changement climatique va nécessiter de la main-d’œuvre. Il faut penser aux qualifications nécessaires. Et c’est là que se joue la question du travail dans les années à venir. Finalement, l’IA va être une technologie importante, mais qui n’est pas en soi une menace. Là aussi, c’est mon leitmotiv, il faut la saisir comme une opportunité à utiliser pour des éléments pratiques et pour faire face à l’enjeu du changement climatique. L’intelligence artificielle est présente depuis quelques années au Japon, comme une technologie extrêmement poussée par le gouvernement. On ne voit pas du tout ce grand soir du travail. On voit plutôt des phénomènes nettement plus complexes que ceux que l'on avait pu anticiper. L’IA entraine un changement des tâches, pas du tout une situation où l’emploi disparaît. L’histoire montre que lorsque des grandes technologies apparaissent, il y a systématiquement cette peur que le travail disparaisse. Il y a une forme de répétition de l’histoire. J’avais commencé avec la répétition de l’histoire de Mai 68, pour les jeunes. L’IA pose des enjeux plus démocratiques avec un questionnant sur la manipulation de l’opinion, c’est autre chose que la disparition du travail.
Propos recueillis par Nicole MARI.