L’Assemblée de Corse engage la révision du Padduc

Rédigé le 29/11/2024
Manon Perelli

À l'occasion de la session de ce jeudi, le président de l'Agence d’Aménagement durable, d’Urbanisme et d’Énergie de la Corse (AUE), Julien Paolini, a présenté un rapport visant à faire une analyse globale des sept premières années d'application du Padduc et à entamer enfin sa révision. Une procédure qui aurait dû être lancée il y a déjà trois ans, mais qui grâce à un vote unanime de l'Assemblée de Corse est enfin sur les rails.

C’est une procédure prévue par la loi qui aurait dû intervenir depuis 2021. Mais trois ans plus tard, la révision du Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse (Padduc) n’a toujours pas débutée. Un retard que le président de l’Exécutif explique par des raisons objectives comme le Covid, les contentieux qui ont concernés le document, ou encore une multiplication de lois qui l’ont impacté directement. Ce jeudi, à l’occasion de la session de l’Assemblée de Corse, Julien Paolini, le président de l’Agence d’Aménagement durable, d’Urbanisme et d’Énergie de la Corse (AUE) a toutefois entendu activer les choses en présentant une analyse globale de ce document stratégique et en lançant officiellement sa procédure de révision. 
 
« Le Padduc a été voulu par les élus de notre assemblée en 2015 non pas comme un simple document d’urbanisme opposable aux communes ou aux tiers, mais comme un projet de société permettant de fixer une trajectoire pour la Corse à l’horizon 2050 », rappelle-t-il en préambule en notant que le but était alors de couvrir différents aspects comme « le développement économique, la protection de l’environnement, des secteurs comme le BTP, les transports ou encore l’agriculture, ou des domaines variés comme la culture, le patrimoine ou encore la langue, le social, et le sport ». Dans son rapport, il tire tout d’abord une analyse de ces sept années d’application du document et souligne que « ce que l’on a surtout retenu, c’est son habilitation normative notamment en matière d’urbanisme, c’est-à-dire sa capacité sa capacité à fixer des normes de nature réglementaire ». « Ces orientations réglementaires du Padduc ont notamment permis de préciser les modalités d’application des lois littorale et montagne, de créer des espaces de protection à vocation agricole, ou de déterminer les aménagements autorisés par exemple sur la bande littorale au travers de la vocation des plages », détaille-t-il. Sur les effets produits par le Padduc, il relève des avancées sur la « sécurisation des Espaces Stratégiques Agricoles », les fameux ESA, au terme de près de 10 ans de procédure grâce à une récente décision du Conseil d’État, mais aussi un soutien accru à l’investissement, au logement, au numérique, à la planification ou encore aux transports et à la transition écologique. « Ce bilan apparait malgré tout contrasté et certains indicateurs traduisent un retard important dans la mise en œuvre du Padduc », tempère-t-il en visant principalement un retard de planification à l’échelle communal, avec « aujourd’hui encore 60% des communes sont régies par le règlement national d’urbanisme », et le « le fort rythme d’artificialisation ces dernières années ».
 
Construire un Padduc de nouvelle génération
 
L’enjeu de la révision du Padduc qui s’ouvre et qui s’étendra sur les trois prochaines années sera donc de répondre à plusieurs objectifs, commet tenir compte des évolutions législatives et réglementaires majeures, intégrer le schéma territorial de cohérence écologique en cours d’élaboration ainsi que le plan territorial d’intermodalité en matière de transport. Plus globalement, pour le président de l’AUE le Padduc de nouvelle génération devra répondre aux problématiques du XXIème siècle. « Il devra faire de la Corse une île modèle en matière de développement durable et de transition écologique en Méditerranée. Il devra aussi permettre de traduire les avancées que nous attendons en matière d’évolution institutionnelle vers un statut d’autonomie et renforcer nos objectifs en matière d’autonomie énergétique, alimentaire, en matière de lutte contre les inégalités sociales et territoriales », déroule Julien Paolini en ajoutant : « Le Padduc devra aussi rendre la Corse plus résiliente face aux menaces sanitaires, environnementales ou sociétales qui sont devant nous ». Il soulève par ailleurs que la première priorité de cette révision sera également d’accentuer « le combat nécessaire contre la spéculation foncière et immobilière, les difficultés d’accès au logement » qui « se sont considérablement accentuées ces dernières années, renforcent le sentiment de dépossession ». « Mais à droit constant le Padduc ne pourra pas tout régler », concède-t-il en appuyant : « Sans autonomie impossible de combattre les forces de l’argent, les logiques de rentes et les dérives affairistes. Sans évolution institutionnelle, je suis persuadé qu’à moyen terme, le Padduc, la corse, son peuple risquent d’être emportés par le tsunami grandissant de la spéculation et les vagues répétées de la dépossession ». 
 
« Les objectifs n’ont pas été atteints »
 
« Le Padduc ne peut pas tout », répondra en écho le conseiller territorial de Fà Populu Inseme Jean-Félix Acquaviva, « Mais il permet de poser des limites et des buts ». « Si en 2015 il n’y avait pas eu les ESA, vu ce que nous avons maintenant, que serait la corse en termes de foncier 10 ans plus tard. Nous connaissons la réponse au vu de la pression », souffle-t-il en insistant sur la protection qu’a tout de même représentée le document. 
 
Sur les bancs de la droite, Marie-Thérèse Mariotti martèle : « On ne peut pas tout mettre sur le compte du Padduc. Nous pensons que c’est pour cela que c’est un échec. On a tout voulu mettre dans ce document, et finalement il est tellement dense qu’il en devient complètement illisible ». Pour son groupe, le bilan est sans appel : « Les objectifs n’ont pas été atteints ». « Ils n’ont pas été atteints parce que déjà ils n’étaient pas clairs. La question de fond est à quoi sert un document de planification et d’aménagement ? En tous ce ne doit pas être un exercice philosophique, et c’est le reproche que l’on peut faire au document actuel », indique-t-elle. « Il faut faire une révision totale et urgente de ce document, fixer des objectifs clairs et opérationnels, capitaliser sur le retour d’expérience. Le Padduc n’est pas un simple document d’urbanisme, mais ce ne doit pas être une usine à gaz », appuie-t-elle alors qu’Un Soffiu Novu annonce déposer un amendement pour demander une révision totale du Padduc. 
 
Dans la foulée, le président du groupe, Jean-Martin Mondoloni se montre lui aussi très critique vis-à-vis du document. « Est-ce que ce qui a été fixé dans le Padduc a été mis en œuvre ? La loi a-t-elle été modulée grâce aux efforts du Padduc ? Cela devait être une rencontre entre la géographie et un projet de société. De quelle géographie parle-t-on de quel projet de société parle-t-on ? L’objectif des ESA était d’installer des agriculteurs sur ces 105 000 hectares. Combien de nouveaux agriculteurs ont été installés ? Très peu. Où est la mise en œuvre de la charte contre la précarité ? Néant. Où sont les schémas régionaux d’infrastructures de transports et d’orientations touristiques ? Le Padduc n’a rien changé ou si peu », grince-t-il en affirmant : « Et y compris en renforçant la capacité normative il ne va rien changer ou si peu. Il faut avoir le courage de le dire aux Corses ». Pour le leader d’Un Soffiu Novu, « la Corse a besoin d’un document qui nous dise de quel traitement des déchets, de quel modèle énergétique, de quel modèle de développement économique, et de quel modèle de tourisme on veut ». « C’est de cela dont il faut dont on parle quand on révise le Padduc », estime-t-il. 
 
« Le Padduc a été par certains côtés un frein et pas un facilitateur ». 
 
Du côté d’Avanzemu, Jean-Christophe Angelini tacle une « révision très tardive ». « J’aurais préféré que dès 2021 nous ayons pu réviser le document. Dans l’intervalle pour ceux qui ont voulu faire des documents d’urbanisme il s’est passé beaucoup de choses : la loi ZAN, la conjugaison dans les effets des lois littoral et montagne, ELAN, NOTRe, ALUR… », explique-t-il. « L’enjeu aujourd’hui est de savoir de quel type d’urbanisation nous voulons pour ce pays », abonde-t-il en invitant à « alléger, fluidifier et simplifier avec cette révision », alors que le Padduc « tel qu’on l’a voté et tel qu’on l’a vécu a été par certains côtés un frein et pas un facilitateur ».
 
Enfin, Paul-Félix Benedetti, le leader de Core in Fronte, note que la révision du Padduc devrait aboutir en 2027 à l’heure des élections territoriales. « J’ai peur que comme en 2025, le Padduc devienne un document de consensus. Et si cela devient un document de consensus, cela pourrait devenir un document de reniement par rapport à la doctrine originelle qui a animé les fondamentaux du nationalisme corse avec essentiellement la lutte contre la dépossession, la préservation de la terre et la lutte contre la colonisation de peuplement », s’inquiète-t-il, « Je considère que le Padduc original est sur une bonne doctrine et que toute révision va dans un sens de simplification, d’amélioration et de renforcement du côté protectionniste ». Pour lui, il convient de facto de préciser que la révision doit être partielle. « Car si on parle de révision totale, cela veut dire que l’on rejette totalement l’ancien Padduc. Or, je ne veux pas qu’on laisse penser que ce Padduc était mauvais et qu’on va en brûler toutes les pages. À la limite je n’aurais pas parler de révision, j’aurais choisi l’autre terme de la loi, celui d’adaptation », souligne-t-il. Le rapport sera finalement adopté à l’unanimité, malgré le rejet de l’amendement d’Un Soffiu Novu.