Réforme du métier d’infirmier : en Corse, la profession reste sur ses gardes

Rédigé le 13/03/2025
MV Barbieri

Examinée en première lecture à l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à élargir les compétences des infirmiers suscite des réactions mitigées dans la profession. Si l’idée d’accorder plus d’autonomie aux soignants pourrait répondre aux tensions du système de santé, notamment en matière d’accès aux soins, les infirmiers corses restent prudents face aux implications concrètes de cette proposition.

Réforme du métier d’infirmier : en Corse, la profession reste sur ses gardes

Photo Pexels

Ils sont plus de 600 000 en France, dont 1 200 en Corse, à exercer ce métier essentiel au fonctionnement du système de soins. Pourtant, les infirmiers se heurtent encore à des limites strictes dans leurs prérogatives, malgré leur proximité avec les patients. La proposition de loi, portée par Nicole Dubré-Chirat et co-écrite avec l’ex-ministre de la Santé Frédéric Valletoux, vise à rééquilibrer leur place dans un système régi par le monopole médical.
Adopté à l’unanimité en commission des affaires sociales, le texte entend répondre aux difficultés d’accès aux soins et au manque de personnel médical, tout en anticipant l’augmentation de la demande de soins liée au vieillissement de la population.

L’un des principaux changements introduits par la loi est la reconnaissance des consultations infirmières, jusqu’ici réservées aux professions médicales. Les soignants pourraient ainsi suivre plus étroitement l’état de santé de leurs patients et intervenir de manière plus autonome. La loi prévoit également la possibilité pour les infirmiers de prescrire certains médicaments et examens complémentaires. La liste exacte des produits concernés sera définie par arrêté ministériel une fois la loi adoptée. En parallèle, le texte entend renforcer la "pratique avancée", qui permet aux infirmiers spécialisés d’élargir leurs compétences. Ils pourraient ainsi exercer dans de nouveaux lieux de soins, notamment en protection maternelle et infantile, santé scolaire et aide sociale à l’enfance.

L’un des points les plus sensibles concerne l’expérimentation de la prise en charge directe de patients par des infirmiers dans cinq départements, pour une durée de trois ans. Dans ces zones, les infirmiers pourront assurer le suivi de certains malades sans consultation préalable d’un médecin, tout en adressant des comptes rendus réguliers au médecin traitant.

Un accueil mitigé en Corse
Si le projet entend répondre aux difficultés d’accès aux soins et au manque de personnel médical, il soulève en Corse de nombreuses interrogations. Pierre-Jean Franceschini, président de l’URPS Infirmiers de Corse, se dit prudent quant à son application et estime que la profession a été prise de court. « On en sait peu pour l’instant, et c’est une proposition qui peut encore évoluer. » Il reconnaît cependant que certaines mesures pourraient représenter un gain de temps pour les patients et les soignants. « Lorsqu’on suit un patient depuis longtemps et que son état se dégrade, il serait utile de pouvoir prescrire des examens, comme une prise de sang ou une analyse d’urine. » Pour lui, cette évolution ne doit pas être une substitution au rôle du médecin, mais bien un complément. « Cela doit se faire avec l’accord du médecin traitant, dans une relation de confiance. » isouligne le président, qui met en avant la nécessité d’une collaboration étroite avec les généralistes afin d’intégrer ces nouvelles prérogatives des infirmiers dans un cadre clair et sécurisé.


Une avancée en trompe-l’œil ?
Un avis plus mesuré que celui d’Océane Baldocchi, infirmière libérale à Bastia, qui se montre bien plus sceptique quant aux réelles retombées de cette réforme pour la profession. Elle estime que cette loi est avant tout une réponse économique, qui vise à faire des économies plutôt qu’à véritablement reconnaître le rôle des infirmiers. " "Je pense que ce n’est qu’une manière de pallier le manque de médecins sans résoudre le problème de fond. C’est comme quand tu crèves un pneu de vélo et que tu mets une rustine, puis une autre, puis encore une autre. À force, ça ne tient plus. Nous, infirmiers, on attend toujours une revalorisation de nos actes depuis 2009. Là, on nous donne plus de responsabilités, mais rien ne dit que ce sera rémunéré à la hauteur de ce que cela représente," souligne-t-elle. Elle déplore le fait que les infirmiers soient toujours sollicités pour alléger la charge du système de soins, sans qu’une véritable reconnaissance ne suive. "On nous donne plus de responsabilités, mais on ne nous donne pas les moyens de les assumer correctement. Entre le manque de formation, l’absence de revalorisation et l’augmentation des tâches administratives, cela devient de plus en plus difficile."

Oceane Baldocchi s’interroge notamment sur le renouvellement des ordonnances, qui pourrait être confié aux infirmiers pour certains traitements permanents, notamment les patients diabétiques. Si cela représente un gain de temps pour le patient, elle se demande à quel tarif ces actes seront rémunérés. Elle rappelle qu’une consultation chez un médecin pour un simple renouvellement coûte aujourd’hui 26,50 € à la Sécurité sociale et doute que les infirmiers puissent prétendre à une rémunération équivalente.

Si la profession ne rejette pas l’idée d’une évolution, elle attend des précisions sur les conditions d’application et les compensations prévues. L’expérimentation menée dans cinq départements permettra d’évaluer la pertinence de ces nouvelles missions avant une éventuelle généralisation.