Environnement : Comment le vignoble corse s'adapte au réchauffement climatique ?

Rédigé le 15/05/2023
Jeanne Leboulleux-Leonardi

La vigne est une liane qui existe depuis des millénaires et a toujours fait preuve d’une capacité d’adaptation étonnante. Pour le moins, le changement climatique que nous vivons aujourd’hui n’aura-t-il aucun impact sur ce qui représente aujourd’hui, pour la Corse, à la fois une part importante de son patrimoine historique et un secteur économique à forte valeur ajoutée ? Et si le risque est là, comment peut-on l’anticiper ? Conscient de l’enjeu, le CRVI, Centru di Ricerca Viticula di Corsica, implanté sur le Corsic’Agropôle de San-Giulianu, a placé cette problématique au cœur de son dernier plan stratégique qui vise à « développer des leviers opérationnels pour l’adaptation, la sécurisation et la valorisation du vignoble corse dans le contexte de changement climatique ».

Environnement : Comment le vignoble corse s'adapte au réchauffement climatique ?

Les babotatoires du le CRVI, Centru di Ricerca Viticula di Corsica

Créé en 1982, le CRVI est beaucoup plus qu’un simple conservatoire des cépages corses. En réalité, c’est une petite exploitation viticole, avec son domaine de 4,4 hectares, son mini-chai, et sa cave de conservation, sur laquelle se sont greffés trois laboratoires : un laboratoire d’analyse œnologique, un de microbiologie, enfin, un de physiopathologie de la vigne. Dix salariés y travaillent, sans compter les stagiaires qui viennent de toutes les régions viticoles de France : « Une équipe de spécialistes, explique la directrice générale Nathalie Uscidda, avec un ingénieur agricole, un ingénieur agronome, un œnologue, des biochimistes... tous formés aux sciences de la vigne et du vin... et toujours en éveil parce qu’ils participent à des groupes de travail, des colloques, et collaborent avec des équipes de recherche hors de Corse ».

Le centre s’intéresse à la fois aux terroirs, aux cépages, à la typification des vins et aux techniques de vinification. De quoi multiplier les essais expérimentaux, de la plantation de la vigne jusqu’à la production du vin lui-même : autant de vins expérimentaux, qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qui, soigneusement étiquetés, trônent dans des bouteilles alignées au sein d’un petit musée interne aménagé en sous-sol.

80 mini-vinifications par an
Car le CRVI réalise 80 mini-vinifications tous les ans – chacune permettant de produire une quinzaine de bouteilles. « Ces vins, reflet des expérimentation mises en place sur le terrain, sont ensuite analysés et dégustés ». Quand ces essais se révèlent concluants, le CRVI peut en faire profiter les producteurs. Inscrit au Contrôle bois et plants de vigne, agréé par France Agrimer, il a en effet le droit de diffuser des greffons : ses 11,5 hectares de vignes mères de greffons lui permettent ainsi de distribuer les cépages auprès des pépiniéristes.

Des vignerons engagés…
Le centre ne travaille pas en vase clos : les vignerons y sont fortement impliqués. « Nous sommes une association loi 1901, explique Nathalie Uscidda. Le Conseil d’administration et l’Assemblée générale sont exclusivement composées d’acteurs de la filière. » Ainsi, les acteurs institutionnels comme la Chambre d’Agriculture, l’ODARC, la SAFER ou encore le lycée agricole, sont représentés à l’Assemblée générale, tout comme le monde coopératif – avec les quatre caves corses – et les caves particulières – à travers Uva corse.

Et ce sont vingt vignerons, représentant toutes les AOP de Corse, qui constituent le Conseil d’administration, présidé par une femme. Y siègent également les présidents des deux autres structures qui interviennent sur le vin en Corse : Éric Poli, pour le Conseil interprofessionnel des vins de Corse, et Pierre Acquaviva, pour le GIAC (Groupement intersyndical des appellations d’origine contrôlée de Corse).

Le monde viti-vinicole est ainsi représenté dans toute sa diversité et les vignerons fonctionnent en partenariat actif avec le CRVI. « En chaque vigneron sommeille un chercheur », analyse la Directrice générale qui souligne leur fort engagement dans ce travail d’expérimentation. Ils sont attentifs aux résultats des travaux du centre : tous les ans, dans le cadre des comités techniques, sept ateliers de dégustation sont organisés, au cours desquels 61 vins sont testés. « L’objectif est que les vignerons touchent du doigt les résultats de la recherche et qu’ils se projettent sur leur propre domaine. »
 
Mais en réalité, la collaboration commence beaucoup plus en amont : 70 % des essais sont en effet réalisés chez les producteurs qui n’hésitent pas à mettre une partie de leurs parcelles à la disposition du centre de recherche.

Un vrai partenariat avec les vignerons 
Depuis 2021, date de mise en œuvre du nouveau plan stratégique du CRVI, un fil directeur guide ces expérimentations : « L’idée, c’est de développer une véritable stratégie d’adaptation pour répondre à l’évolution climatique », explique la Directrice générale. Pour y travailler, les chercheurs du CRVI peuvent jouer sur trois facteurs essentiels pour la vigne et le vin : le contexte pédoclimatique, le matériel végétal, l’humain. Le plan se décline en 33 actions, visant tout à la fois à mieux connaître les conditions de production, à faire en sorte de conserver le vivant – essentiel notamment pour maintenir la biodiversité – et à agir sur les pratiques de culture comme de vinification.

Limiter les conséquences de la chaleur et de la sécheresse
Le CRVI a mis en place sur différents domaines des systèmes de recueil de données, en lien
avec le sol ou le climat : « Toutes ces datas peuvent être mutualisées avec d’autres filières »,
estime la directrice générale, puisque les cultures voisines sont bien évidemment soumises
aux mêmes contraintes. 
Au-delà de l’observation, différentes techniques sont expérimentées pour limiter les conséquences du dérèglement climatique. Ainsi d’une action menée dans le domaine d’Alzipratu, sur des plantations de Sciacarellu : « Un cépage extraordinaire, mais qui est très sensible au flétrissement… Or le flétrissement augmente avec la sécheresse », précise Nathalie Uscidda. Des filets d’ombrage, plus ou moins couvrants, à la taille tardive – qui décale la maturation des raisins – en passant par le paillage… « nous avons testé plusieurs leviers ».

Les caractéristiques d’anciens cépages retrouvés et assainis peuvent également contribuer à anticiper les dérèglements du climat : l’Uva biancona, récemment inscrite au catalogue, présente ainsi une maturité tardive très intéressante dans le cadre d’un réchauffement climatique.

Corriger les vins
Ces actions sur les cultures se combinent avec un travail sur la vinification : chaleur et sécheresse peuvent modifier les caractéristiques des vins issus de certains cépages. L’assemblage avec d’autres vins, aux caractéristiques différentes, permet de corriger ces imperfections : trop d’alcool, carence en acide notamment. 
Ainsi, la biodiversité contribue-t-elle également à la résilience du vignoble. La Corse semble bien dotée en la matière, et d’autant plus que, pour un même cépage, existent ce qu’on appelle des “clones”, soigneusement répertoriés, qui sont en fait des individus ayant développé des caractéristiques spécifiques. Le conservatoire du CRVI en compte 240 ! Si l’anticipation du changement climatique est au cœur des travaux du CRVI, le centre œuvre également pour répondre aux nouvelles attentes sociétales – par exemple pour la production de vins sans sulfites –, pour diversifier les produits – comme les fins mousseux de qualité réalisés avec des cépages rares, ou les vins oranges qui sont des vins blancs travaillés comme des rouges – et plus généralement pour améliorer la qualité – y compris dans le cadre de projets transversaux qui le conduisent à travailler avec d’autres filières agricoles, comme par exemple l’expérimentation de fûts de châtaigniers... 

De quoi offrir au consommateur bien des plaisirs dans la dégustation de vins corses toujours plus inventifs.


Pour les curieux…


Le CRVI cherche à toucher un public très large en diffusant ses résultats via Instagram et
Facebook et également sur son site – dont l’orientation est un peu plus scientifique.
De la publication scientifique aux petits films illustratifs en passant par les bulletins de santé
du végétal ou les caractéristiques des millésimes, les curieux pourront trouver sur ces trois
médias de nombreuses informations sur les travaux menés par le CRVI.
https://www.crvi.corsica