La crise économique, social, financière et climatique continue de s’aggraver dans le monde et en Europe avec la menace d’une crise financière de grande ampleur. En France, les tensions sociales dues à la réforme des retraites ont conduit l'agence de notation financière Fitch à rétrograder la note de la France. Une fois n’est pas coutume, CNI a demandé à Michel Castellani de décrypter cette conjoncture morose, pas en tant que député, mais en tant qu’universitaire et professeur d’économie. Pour lui, la solution passe par la solidarité, la démocratie et le progrès.
- Quel regard portez-vous, en tant que professeur d’économie, sur la situation mondiale générale ?
- La croissance du PIB (Produit intérieur brut) mondial s’est élevée l’an dernier à +1,9 %, et l’inflation à +13,1%. Ce sont deux données de base qui illustrent clairement une situation de stagflation. Autant dire des fondamentaux particulièrement nocifs et difficiles à traiter. Ces chiffres globaux sont naturellement à interpréter à l’échelle de chaque pays, où les conditions de vie sont extrêmement diverses et inégales. Il existe des poches de misère considérables, que la dérive démographique contribue à renforcer. Les pays du Sud doivent faire face à des retards énormes en infrastructures, formation, santé, etc. La crise climatique se surajoute de plus en plus. Et ces pays doivent emprunter à des taux d’intérêt devenus rédhibitoires, jusqu’à dix fois ceux des pays industriels. De leur côté, les pays du Nord ont leurs propres difficultés, de nature différente, mais réelles. Enfin, l’humanité entière est confrontée à l’usure croissante du milieu naturel. Ce n’est pas avec 90 millions d’habitants en plus chaque année que les choses vont s’améliorer…
- Qu’en est-il alors de l’aide au développement ?
- Vous avez sans doute vu que le Secrétaire général de l’ONU a demandé aux pays du G20 une augmentation de 500 milliards au titre de l’aide au développement. A ma connaissance, il ne s’est rien passé en réponse. Par contre, ces derniers jours, ce sont près de 300 milliards qui viennent d’être mobilisés pour sauver le système bancaire américain. Les pays industriels sont, en effet, eux-mêmes menacés par l’instabilité financière, contraints par les difficultés économiques et sociales, par la montée des taux d’intérêt, par la situation permanente de concurrence frontale. Cela dit, n’oublions pas que le PIB par habitant s’élève à 130 000 euros au Luxembourg et à moins de 5 000 euros dans une cinquantaine de pays…
- Y-a-t-il une solution ?
- Il convient de répondre du mieux possible à cette situation. Par la solidarité. Par la prise de conscience. Par la démocratie. Par le progrès scientifique. C’est ce dernier qui a permis tous les progrès de l’humanité.
- Les gens craignent pour leur épargne. Y a-t-il un risque de crise bancaire ?
- Les crises bancaires sont toujours à l’origine de déséquilibres majeurs. On se rappelle du désastre mondial provoqué en 2008 par Lehman Brothers. Depuis les incidents se sont multipliés jusqu’à SVB, Crédit Suisse, et First Republic actuellement. De puissants moyens prudentiels sont en action, mais les sommes en cause sont tellement gigantesques que l’on n’est jamais à l’abri d’un mouvement de panique. Sur le fond, ce sont les excès de la spéculation et les montages financiers complexes qui sont en cause. Je ne peux pas dire que nous soyons totalement à l’abri.
- Concernant l’Union européenne (UE), vous vous êtes prononcé à plusieurs reprises pour une harmonisation de la fiscalité en Europe. Pourquoi ?
- C’est une condition indispensable à un fonctionnement juste de la vie économique et sociale. Il y a trop de disparités fiscales et sociales, et nos entreprises sont en souffrance. Pour maintenir une certaine cohérence, l’UE a harmonisé les niveaux de TVA et de droit d’accise. En revanche, la fiscalité directe relève des Etats. Et là, les tentatives d’harmonisation ont échoué. Il y a des pays qui pratiquent le dumping social et fiscal, ce qui distors fortement les conditions de la concurrence au sein même de l’Union. C’est plutôt à l’OCDE que se discute depuis quelques années la possibilité d’une imposition minimale des bénéfices des entreprises principales. Ça avance pour 2024 en principe. En attendant, si les prélèvements obligatoires s’élèvent à plus de 47 % en France, ils sont à 21 % en Irlande…
- Comment jugez-vous la situation de la France ?
- Difficile ! Vous avez vu que l’agence Fitch a abaissé la notation à AA-. On trouve dans cette appréciation le résumé d’une conjoncture pénible. Croissance ralentie, inflation active qui pénalise fortement les ménages, surtout les plus modestes, inégalités, tensions sociales encore fortement accrues depuis l’adoption de la loi sur les retraites… Ajoutez un déficit majeur du commerce extérieur : plus de 160 milliards pour les échanges de biens ! La situation budgétaire est en déséquilibre total. L’endettement cumulé s’élève à 3 000 milliards. Nous avons voté un budget à 516 milliards d’euros de recettes et 682 milliards d’euros de dépenses. La seule charge des intérêts de la dette s’élève à 55 milliards et, vu l’évolution des taux d’intérêt, elle va continuer de croître. La France emprunte en partie pour rembourser… Au-delà de ces aspects budgétaires, le pays est fortement tendu, le gouvernement sur la défensive, et à l’Assemblée Nationale, certains groupes jouent la carte de la dissolution en perturbant fortement le fonctionnement démocratique normal. Tout est loin d’être négatif, mais les handicaps sont nombreux et sérieux.
- Dans ce contexte, il parait difficile d’obtenir des concessions pour la Corse ?
- Il convient d’être pertinent et efficace. Il y a d’une part, les questions de fond sur lesquelles nous espérons une reprise des discussions en mai. Et nous expliquerons une fois de plus que ce n’est pas un souci de particularisme à tout prix qui nous anime, mais la volonté d’avoir les moyens d’améliorer les choses sur les plans économique, social et culturel. C’est la partie éminemment politique des choses. Et puis, il y a les problèmes immédiats, plus ponctuels. Ce n’est un secret pour personne que j’ai mis la pression haute sur la question de l’hôpital de Bastia. On peut compter sur moi pour ne rien lâcher, vu la nécessité des choses. Il y a également besoin de mettre à plat l’ensemble des dispositifs fiscaux pour aller vers un système plus simple et plus efficace. J’ai demandé par écrit, par oral, et par contact privé, que l’on me communique les comptes publics de la Corse. Nous ne savons rien de ce que nous payons d’impôts, ni de ce que verse le secteur public, et, on ne peut pas continuer à naviguer dans le brouillard. Je demande, enfin, une contractualisation des écoles immersives. C’est une mesure à coût quasi nul pour l’Etat, mais indispensable à la promotion de ces écoles, et donc à la sauvegarde de notre langue. Sur tous ces sujets, pas de réponse concrète pour l’heure. Comme on ne peut se contenter de bonnes paroles, il faudra continuer à travailler. C’est ce que je suis bien décidé à faire !
Propos recueillis par Nicole MARI.
- La croissance du PIB (Produit intérieur brut) mondial s’est élevée l’an dernier à +1,9 %, et l’inflation à +13,1%. Ce sont deux données de base qui illustrent clairement une situation de stagflation. Autant dire des fondamentaux particulièrement nocifs et difficiles à traiter. Ces chiffres globaux sont naturellement à interpréter à l’échelle de chaque pays, où les conditions de vie sont extrêmement diverses et inégales. Il existe des poches de misère considérables, que la dérive démographique contribue à renforcer. Les pays du Sud doivent faire face à des retards énormes en infrastructures, formation, santé, etc. La crise climatique se surajoute de plus en plus. Et ces pays doivent emprunter à des taux d’intérêt devenus rédhibitoires, jusqu’à dix fois ceux des pays industriels. De leur côté, les pays du Nord ont leurs propres difficultés, de nature différente, mais réelles. Enfin, l’humanité entière est confrontée à l’usure croissante du milieu naturel. Ce n’est pas avec 90 millions d’habitants en plus chaque année que les choses vont s’améliorer…
- Qu’en est-il alors de l’aide au développement ?
- Vous avez sans doute vu que le Secrétaire général de l’ONU a demandé aux pays du G20 une augmentation de 500 milliards au titre de l’aide au développement. A ma connaissance, il ne s’est rien passé en réponse. Par contre, ces derniers jours, ce sont près de 300 milliards qui viennent d’être mobilisés pour sauver le système bancaire américain. Les pays industriels sont, en effet, eux-mêmes menacés par l’instabilité financière, contraints par les difficultés économiques et sociales, par la montée des taux d’intérêt, par la situation permanente de concurrence frontale. Cela dit, n’oublions pas que le PIB par habitant s’élève à 130 000 euros au Luxembourg et à moins de 5 000 euros dans une cinquantaine de pays…
- Y-a-t-il une solution ?
- Il convient de répondre du mieux possible à cette situation. Par la solidarité. Par la prise de conscience. Par la démocratie. Par le progrès scientifique. C’est ce dernier qui a permis tous les progrès de l’humanité.
- Les gens craignent pour leur épargne. Y a-t-il un risque de crise bancaire ?
- Les crises bancaires sont toujours à l’origine de déséquilibres majeurs. On se rappelle du désastre mondial provoqué en 2008 par Lehman Brothers. Depuis les incidents se sont multipliés jusqu’à SVB, Crédit Suisse, et First Republic actuellement. De puissants moyens prudentiels sont en action, mais les sommes en cause sont tellement gigantesques que l’on n’est jamais à l’abri d’un mouvement de panique. Sur le fond, ce sont les excès de la spéculation et les montages financiers complexes qui sont en cause. Je ne peux pas dire que nous soyons totalement à l’abri.
- Concernant l’Union européenne (UE), vous vous êtes prononcé à plusieurs reprises pour une harmonisation de la fiscalité en Europe. Pourquoi ?
- C’est une condition indispensable à un fonctionnement juste de la vie économique et sociale. Il y a trop de disparités fiscales et sociales, et nos entreprises sont en souffrance. Pour maintenir une certaine cohérence, l’UE a harmonisé les niveaux de TVA et de droit d’accise. En revanche, la fiscalité directe relève des Etats. Et là, les tentatives d’harmonisation ont échoué. Il y a des pays qui pratiquent le dumping social et fiscal, ce qui distors fortement les conditions de la concurrence au sein même de l’Union. C’est plutôt à l’OCDE que se discute depuis quelques années la possibilité d’une imposition minimale des bénéfices des entreprises principales. Ça avance pour 2024 en principe. En attendant, si les prélèvements obligatoires s’élèvent à plus de 47 % en France, ils sont à 21 % en Irlande…
- Comment jugez-vous la situation de la France ?
- Difficile ! Vous avez vu que l’agence Fitch a abaissé la notation à AA-. On trouve dans cette appréciation le résumé d’une conjoncture pénible. Croissance ralentie, inflation active qui pénalise fortement les ménages, surtout les plus modestes, inégalités, tensions sociales encore fortement accrues depuis l’adoption de la loi sur les retraites… Ajoutez un déficit majeur du commerce extérieur : plus de 160 milliards pour les échanges de biens ! La situation budgétaire est en déséquilibre total. L’endettement cumulé s’élève à 3 000 milliards. Nous avons voté un budget à 516 milliards d’euros de recettes et 682 milliards d’euros de dépenses. La seule charge des intérêts de la dette s’élève à 55 milliards et, vu l’évolution des taux d’intérêt, elle va continuer de croître. La France emprunte en partie pour rembourser… Au-delà de ces aspects budgétaires, le pays est fortement tendu, le gouvernement sur la défensive, et à l’Assemblée Nationale, certains groupes jouent la carte de la dissolution en perturbant fortement le fonctionnement démocratique normal. Tout est loin d’être négatif, mais les handicaps sont nombreux et sérieux.
- Dans ce contexte, il parait difficile d’obtenir des concessions pour la Corse ?
- Il convient d’être pertinent et efficace. Il y a d’une part, les questions de fond sur lesquelles nous espérons une reprise des discussions en mai. Et nous expliquerons une fois de plus que ce n’est pas un souci de particularisme à tout prix qui nous anime, mais la volonté d’avoir les moyens d’améliorer les choses sur les plans économique, social et culturel. C’est la partie éminemment politique des choses. Et puis, il y a les problèmes immédiats, plus ponctuels. Ce n’est un secret pour personne que j’ai mis la pression haute sur la question de l’hôpital de Bastia. On peut compter sur moi pour ne rien lâcher, vu la nécessité des choses. Il y a également besoin de mettre à plat l’ensemble des dispositifs fiscaux pour aller vers un système plus simple et plus efficace. J’ai demandé par écrit, par oral, et par contact privé, que l’on me communique les comptes publics de la Corse. Nous ne savons rien de ce que nous payons d’impôts, ni de ce que verse le secteur public, et, on ne peut pas continuer à naviguer dans le brouillard. Je demande, enfin, une contractualisation des écoles immersives. C’est une mesure à coût quasi nul pour l’Etat, mais indispensable à la promotion de ces écoles, et donc à la sauvegarde de notre langue. Sur tous ces sujets, pas de réponse concrète pour l’heure. Comme on ne peut se contenter de bonnes paroles, il faudra continuer à travailler. C’est ce que je suis bien décidé à faire !
Propos recueillis par Nicole MARI.