Ce que la chambre régionale des comptes reproche à la ville de Bonifacio

Rédigé le 22/10/2025
Julien Castelli

Ce mardi 21 octobre, la chambre régionale des comptes (CRC) a mis en ligne son rapport d’observations définitives, relatif à la gestion de la commune de Bonifacio sur la période 2019 - 2024. Si sa situation financière ferait beaucoup d’envieux, une dette de 5,5 millions d’euros jette une ombre. Serein, le maire Jean-Charles Orsucci s’en est expliqué longuement, lundi soir, lors du conseil municipal.

Ce que la chambre régionale des comptes reproche à la ville de Bonifacio

Le port de Bonifacio s'est retrouvé au centre du rapport de la chambre régionale des comptes.

Depuis qu’il a été élu maire de Bonifacio en 2008, c’est la deuxième fois que Jean-Charles Orsucci doit se plier à un contrôle de la part de la Chambre régionale des comptes. La première fois, c’était en 2014. A l’époque, la situation financière de la commune avait été jugée « très satisfaisante » par la CRC, les contrôles diligentés n’ayant mis en évidence « aucun dysfonctionnement » en matière de fonctionnement.

Onze ans plus tard, cette même chambre juge la situation financière bonifacienne « contrastée », dans son rapport publié ce mardi 21 octobre. D’un côté, beaucoup de voyants sont au vert : les recettes n’ont jamais cessé de progresser, atteignant 9,22 millions d’euros en 2024, soit une augmentation de 40 % par rapport à 2019. De même que ses ressources d’exploitation, qui culminent à 3,07 millions d’euros en 2024, en hausse de 1,39 million (+ 83 %) sur six ans. En parallèle, les charges ont pu être contenues (+ 25 %) en dépit de l’inflation, et l’autofinancement a doublé, représentant 17,9 % des produits de gestion (contre 8 % en 2019). Une situation remarquable qui a permis à Bonifacio d’investir 45 millions d’euros en six ans, ce qui n’est pas rien pour une commune de 3 200 habitants.

"Une législation ubuesque"

Le hic, c’est que le budget principal est redevable d’une dette de 5,5 millions d’euros à l’égard du budget annexe du port, qui est géré sous forme de service public industriel et commercial (SPIC). Une dette qui « correspond a des avances de trésorerie versées entre 2019 et 2024 et non remboursées », précise la CRC. Or, « cette pratique a constitué un contournement du principe d’autonomie financière auquel tout SPIC est soumis, qui interdit notamment que les redevances des usagers financent des dépenses étrangères au service, détaille la chambre. Il appartient donc à la commune de régulariser cette situation en remboursant ces sommes au budget du port. »

« Cette trésorerie était commune jusqu’en 2019, soit au moment où le contrôle de la CRC commence, s’est justifié Jean-Charles Orsucci, lundi soir durant le conseil municipal. Quand vous avez l’habitude de fonctionner sur un mode opératoire, ce n’est pas du jour au lendemain que vous en sortez... » Et le maire de déplorer « une législation ubuesque », qui aurait eu pour effet de contraindre Bonifacio à emprunter de l’argent qu’elle avait en caisse : « Aurais-je dû aller voir la Société générale ou La Poste pour réaliser nos investissements et ainsi laisser dormir notre trésorerie ? Sans parler des taux d’emprunt de l’époque, qui n’étaient pas ceux d’aujourd’hui… Je continue à penser que nous avons bien fait. » 

 

Ce que la chambre régionale des comptes reproche à la ville de Bonifacio

Le maire Jean-Charles Orsucci (au centre) et son directeur général des services Marc Rocca Serra (à sa droite) ont commenté longuement, lundi soir, le rapport de la CRC.

"Je connais des députés"

Par ailleurs la chambre régionale des comptes a relevé que les tarifs du port ont augmenté de manière quasi systématique, d’année en année (à l’exception de 2021). Et d’estimer que les résultats excédentaires obtenus « auraient dû servir en priorité à la couverture des dépenses obligatoires du port, avant de pouvoir être reversés au budget principal ». Elle conseille dès lors à la commune de « mener un travail de recensement exhaustif des charges relatives à l’exploitation du port de plaisance et au besoin de financement généré par ses projets d’investissement, et d’adapter, si nécessaire, les tarifs des redevances acquittées par les usagers ». Baisser les tarifs ? Jean-Charles Orsucci n’en a pas l’intention, car il estime que les Bonifaciens ont vocation à récolter les dividendes de cette manne financière : « Quand on sait que 66 % de ces recettes proviennent de la grande plaisance… Des Bonifaciens qui ont un bateau de plus de 18 mètres, je les compte sur les doigts d’une main. Par contre, l’ancien patron de Skype est venu chez nous cet été. Aurions-nous dû diviser sa tarification par deux ou trois ? Je ne le crois pas. Je ne comprendrais pas qu’il ne paie pas le juste prix. Et je dis ça tout en rappelant qu’on reste bien moins chers que d’autres ports en Méditerranée. » Mais la chambre s’en tient à une lecture juridique, et quand bien même ce point na pas fait l’objet d’un rappel au droit, rappelle que « les excédents d’exploitation d’un service public industriel et commercial n’ont pas vocation à financer de façon permanente des dépenses étrangères audit service ». Jean-Charles Orsucci n’en démord pas : « Il y a une inadéquation entre le droit français et la réalité d’une commune aussi spécifique que Bonifacio. » Et d’annoncer : « Je connais des députés et je vais essayer de faire modifier la loi. »

En revanche, s’agissant des 5,5 millions d’euros de dette, la commune entend rentrer dans les clous : « Ces sommes seront remboursées et ont même commencées à l’être, à hauteur d’un million d’euros en début d’année et un million d’euros supplémentaire programmée en cette fin d’année », annonce-t-elle dans un communiqué. En plus de trois recommandations, la chambre a émis au final huit rappels au droit « qui seront évidemment appliqués et suivis », précise la municipalité bonifacienne, à toutes fins utiles. Tout compte fait, estime Jean-Charles Orsucci, «  ce rapport, je le trouve bon, voire très bon. Car dans les critiques formulées, on peut voir que l’on est victime de notre succès. Et ça, je l’assume très clairement. »