Porto-Vecchio : vers une reprise de l’exploitation du sel dans les marais salants ?

Rédigé le 22/07/2024
Julien Castelli

On ne produit plus de sel dans la Cité du sel depuis vingt-quatre ans. Les salins, intercalés entre les ports de commerce et de plaisance, propriétés de la famille De Rocca Serra, font surtout, de nos jours, le bonheur des populations d’oiseaux et des promeneurs. Mais un projet privé vise à y relancer l’exploitation du sel.

Porto-Vecchio : vers une reprise de l’exploitation du sel dans les marais salants ?

Ces dernières années, des populations d'oiseaux ont élu domicile dans les marais salants porto-vecchiais.

En cet été, à deux pas des terrasses du port bondées de touristes, les marais salants se gorgent de soleil. C’est ainsi qu’ils se sont formés sur quelques dizaines d’hectares à travers les siècles, l’eau des marécages venant s’évaporer lors des fortes chaleurs sous l’action combinée de l’ensoleillement et du vent. Il en résultait une forte concentration en sel.

Et cet été donc, les marais sont tout aussi fréquentés que les terrasses, mais pas par les mêmes peuples migrateurs : hérons, aigrettes, bécasseaux, gravelots ou flamants sont les espèces d’oiseaux que l’on peut avoir la chance d’observer, suivant les flux migratoires. Il y avait même un pélican, Harrys, mais il est reparti, non sans avoir acquis une petite popularité sur les réseaux sociaux. Tous ces oiseaux, « on n’en voyait pas autant il y a encore dix ou quinze ans », constate Camille De Rocca Serra. Le Porto-Vecchiais, ancien maire de la Cité du sel (de 1997 à 2004), est le propriétaire, avec ses cousins, des marais salants. N’allez pas lui dire qu’il y a peut-être un lien entre l’arrêt de la production et la présence de toutes ces colonies d’oiseaux : « On ne produisait pas du ciment ici, on produisait du sel. Et la production du sel, c’était trois mois de l’année, l’été. Ca ne faisait pas de bruit. Toujours moins que les quads ou les motos qui viennent ici… »

Tout a commencé sous le règne anglo-corse

Camille De Rocca Serra est très attaché aux salins et à leur exploitation, « car l’histoire des marais salants, c’est en même temps l’histoire de ma famille ». L’autorisation de produire du sel avait été donnée à ses aïeuls en 1795 par le roi George III d’Angleterre, du temps du royaume anglo-corse. C’est ensuite Napoléon 1er qui encouragea l’exploitation des marais, lui qui avait réinstauré la gabelle, l’impôt sur le sel. Dans les années 1950, jusqu’à 2 000 tonnes de sel étaient récoltées à Porto-Vecchio, et sur le site, des vestiges de rails témoignent toujours de cet âge d’or de la récolte. « Dans les dernières années, on était plus autour de 800 à 1 000 tonnes par an », évalue Camille De Rocca Serra. Le sel porto-vecchiais a notamment pu faire le bonheur des charcutiers insulaires, jusqu’à la cessation de l’activité en 2000. La raison ? « Des divisions familiales », révèle Camille De Rocca Serra. 

Porto-Vecchio : vers une reprise de l’exploitation du sel dans les marais salants ?

Les marais salants ne sont plus exploités depuis vingt-quatre ans.

Quel serait le rôle de la commune ?

L’actuel maire de Porto-Vecchio, Jean-Christophe Angelini, ajoute que « durant les dernières années, la qualité du sel s’était particulièrement dégradée. D’un sel de très bonne qualité dédié à la consommation, on était passé à un sel dédié, entre guillemets, au déneigement. » Ce déclassement, Jean-Christophe Angelini l’explique « par la mauvaise qualité des eaux du port, dans une large part ». En effet, Camille De Rocca Serra pourrait difficilement envisager une reprise de l’exploitation sans une garantie sur la qualité de l’eau de mer qui entrera dans les marais, via l’étier. « Et en même temps, la commune doit s’engager pour que la digue du Stabiacciu (le fleuve côtier voisin des salins) soit vraiment entretenue et empêche les eaux de pluie de venir détruire le sel qui serait récolté à ce moment-là », conditionne l’ancien maire et député.

Il se trouve que la majorité actuelle s’est lancée dans un chantier monumental : l’extension du port de plaisance. Chantier pour lequel elle s’est engagée à réaliser une étude environnementale. A terme, la municipalité porto-vecchiaise ambitionne aussi de faire de l’embouchure du Stabiacciu un écoparc. Elle a donc tout intérêt à ce que les marais salants, qui se trouvent entre le port de plaisance et la zone humide du Stabiacciu, regagnent de l’attractivité. A ce titre, « les recettes générées par le futur port viendront en soutien du projet de remise en production des salins », a annoncé Jean-Christophe Angelini, lors du dernier conseil municipal. En aparté, il confirme : « Notre rôle, c’est de faire en sorte que les travaux réalisés n’impactent que positivement la qualité du sel. On a aussi peut-être un rôle à jouer en matière de périmètre à sécuriser et à protéger. » Mais pour le reste, rappelle le maire, « la capacité à remettre le site en production repose sur les épaules des propriétaires privés ». 

Porto-Vecchio : vers une reprise de l’exploitation du sel dans les marais salants ?

L'ancien bâtiment dévolu au stockage du sel pourrait être transformé en musée.

En l’occurrence, la famille De Rocca Serra. Et Camille ne dit pas autre chose : « Je travaille, avec d’autre cousins, à rendre plus fluides les relations familiales, pour faire en sorte que tout le monde s’agrège, ou pas, à un projet. C’est surtout une organisation juridique à avoir, qui consiste à sortir d’une indivision de fait à une société de droit. » Suivant l’évolution des discussions familiales, l’ancien maire avance un début de calendrier : « On peut imaginer que si les choses se passent bien, on pourrait faire les travaux nécessaires en 2025, pour une récolte du sel, mais aussi de la salicorne, en 2026. »

Musée et produits dérivés ?

Dans le projet qu'il envisage, Camille De Rocca Serra voit plus loin qu’une simple relance de l’exploitation : « Il pourrait y avoir un petit musée, un espace de vente de produits dérivés, ça pourrait aussi devenir un lieu d’événementiel, de villégiature ou de visite organisée… On peut imaginer beaucoup de choses. Le tout, c’est de commencer par le début. Et le début, c’est l’entente familiale. »  Si le projet lui tient tant à cœur, c’est aussi parce que son père, Jean-Paul, adorait venir dans les marais porto-vecchiais : « Il prenait le temps d’y passer, très souvent. Mon père était un scientifique du sel. » Jean-Paul De Rocca Serra, maire de la Cité du sel de 1950 à 1997, est mort en 1998, soit deux ans avant l’arrêt de l’exploitation familiale. « Il n’a pas connu ça et c’est tant mieux, car pour lui, ça aurait été terrible. »