Commémoration des 50 ans des événements d’Aleria : "Écrire une nouvelle page de l’histoire de ce peuple"

Rédigé le 22/08/2025
Julien Castelli

Un demi-siècle après l’occupation de la cave Depeille par le Docteur Edmond Simeoni et ses amis militants autonomistes, la Corse s’est souvenue des événements d’Aleria des 21 et 22 août 1975. Ces deux jours de tensions, marqués par le vent de la révolte, mais aussi par le sang et la tragédie, ont bouleversé l’histoire politique de l’île. Et cinquante ans plus tard, « jour pour jour, presque heure pour heure », plusieurs centaines de militants, d’élus ou sympathisants nationalistes - des Corses, tout simplement – ont convergé à Aleria en ce vendredi 22 août, à l’appel de l’associu Aleria 1975, pour rendre hommage à ce que d’aucuns considèrent comme l’acte fondateur du nationalisme insulaire. Et pour appeler à l’unité, plus que jamais.

Commémoration des 50 ans des événements d’Aleria : "Écrire une nouvelle page de l’histoire de ce peuple"

Environ 700 personnes sont venues assister à la commémoration des Evénements d'Aleria.

Combien étaient-ils en ce vendredi sur ce terrain vague d’Aleria où s’est élevée, naguère, l’ancienne cave Depeille, symbole du mépris de l’État français envers des Corses soucieux de préserver leur culture, leur identité et leur histoire ? Environ sept cents, peut-être plus. Parmi eux, José Carducci. L’auteur du roman Di Petre è di sangue regrette la décision de certains militants nationalistes, pour certains présents dans la cave d’Aleria il y a cinquante d’ans, de ne pas avoir voulu se rendre à la commémoration. Manière, pour eux, de marquer leurs désaccords politiques avec le pouvoir en place. « Je ne suis pas d’accord avec ça, se livre l’écrivain cortenais. Au-delà des divergences que l’on peut avoir, il s’agit d’une commémoration, qui doit nous rassembler en dépit des divergences. Et c’est à ce titre que j’ai voulu m’y rendre. » Il se souvient des événements d’Aleria : « J’avais 11 ans, on revenait de la plage. Je me suis retrouvé bloqué dans la voiture avec mes parents. On s’est garé au bord de la route. Avec mes yeux de petit garçon, j’ai vu les hélicoptères. C’était la guerre. Et ça a marqué le début de mon engagement nationaliste. » Et d’un point de vue plus général et politique, « ça a été aussi une rupture interne, entre ceux qui voulaient continuer le combat démocratique et ceux qui étaient favorables à des actions violentes. »

"On n'a pas compris, en France, combien les Corses ont pu aimer les Français"

En aout 1975, Dominique Taddei avait 37 ans. Ses deux cousins germains étaient impliqués dans l’attaque et l’homme de Migliacciaro, aujourd’hui âgé de 87 ans, se souvient du contexte de l’époque : « Après 1918 et 1945, rien n’a été fait pour la Corse de la part de l’État français. C’était le temps de la clochardisation, du baccalà pè a Corsica. J’étais révolté par la manière dont on nous traitait et je n’arrêtais pas de m’engueuler avec mes parents. Pour eux, le drapeau français, ça représentait quelque chose. C’était la victoire contre le fascisme. Et je pense qu’à l’époque, en France, on n’a pas bien compris combien les Corses ont pu aimer les Français. » Aujourd’hui, il voit dans ce rassemblement à Aleria « un message d’espoir », même s’il met en garde contre « l’ambition politique, qui a un peu tué l’idéal nationaliste ».

 

Commémoration des 50 ans des événements d’Aleria : "Écrire une nouvelle page de l’histoire de ce peuple"

La stèle commémorative, avec la poésie en forme de paghjella.

Une nouvelle stèle pour rassembler

Ce désir de fraternité et d’unité à retrouver, l’associu Aleria 1975 a voulu le mettre sur un piédestal, ou plutôt sur une stèle, celle qui a été inaugurée ce vendredi et qui trônera désormais sur le site des événements d’Aleria. « En fait, cette stèle, c’est le reflet de l’histoire de la Corse, expose Sampieru Mari, le secrétaire de l’associu. Du granit en bas, du sud, pour rappeler cette Corse granitique, mais aussi a terrra di i signori. » La stèle proprement dite est en vert d’Orezza, « qui fait référence aux révoltes du XVIIIe siècle ». Et la plaque fait référence au marbre de Corte, capitale de la Corse durant le XVIIIe siècle.  Avec ce texte, qui est en fait une poésie : 
« L’alba di a libertà
Si pesa qui cumè vittoria
Nantu à st’altare à l’Oriente
S’inchina ogni memoria
A l’omi fieri di sta terra
Chi ci annu scrittu a storia
 »

Sampieru Mari en explique l’ambition, gravée dans le marbre : « Construire le futur en se servant du passé comme d’une expérience pour avancer vers l’avenir. L’objectif, c’est d’éviter les divisions. Et quoi de mieux que la poésie pour ça ? Nous avons voulu lui donner une référence à ce que nous sommes. A notre culture. C’est pour ça qu’elle est en forme de paghjella. » A côté de la stèle, à une quinzaine de mètres en hauteur, se hisse une bandera. Et sur l’un des murs des bâtisses en ruine, le street-artiste bastiais Piombu a réalisé en trois jours une fresque « synthèse des moments forts et des images iconiques que nous avons tous en tête autour des événements d’Aleria et du mouvement nationaliste », présente Sampieru Mari.

Commémoration des 50 ans des événements d’Aleria : "Écrire une nouvelle page de l’histoire de ce peuple"

Toutes les générations de Corses étaient réunies, ce vendredi à Aleria.

S’exprimant d’abord en corse lors de son discours, Gilles Simeoni, fils d’Edmond, a souhaité mettre en avant cette unité, saluant d’abord son groupe politique, « et plus largement tout le groupe nationaliste et les élus de l’Assemblée de Corse. Cette commémoration, ce n’est pas celle de tous les nationalistes, c’est celle de tous les Corses. Aleria appartient à notre peuple. » Le président de la Collectivité de Corse a rappelé que l’Assemblée de Corse a voté récemment l’achat de ce terrain : « Cette acquisition permettra de sanctuariser le site d’Aleria et aura vocation à devenir un lieu de mémoire, qui rendra hommage à tous ceux qui ont participé à la lutte patriotique. Il permettra de comprendre comment l’injustice a conduit à la révolte, et comment la révolte s’est transformée en lutte. » 

"Fracas des grenades et des tirs"

Puis, repassant au français dans le discours, il a rappelé quelle fut la réalité de ces 21 et 22 août 1975, à laquelle avait pris part son père :  « 
C’est en effet ici, en ce lieu même, qu’il y a cinquante ans, jour pour jour, presque heure pour heure, l’assaut était donné, et tout bascula. Fermons les yeux un instant et remontons ensemble le fleuve du temps. Le soleil qui brûle les vignes, le vol lourd des hélicoptères et le bourdonnement des automitrailleuses pendant que la troupe se déploie. La peur sûrement chez les insurgés, mais une peur qui, très vite, va reculer et céder face à la détermination absolue et la certitude qu’il n’y a désormais plus d’autre choix que celui de la confrontation. La médiation de dernière minute tentée par quatre syndicalistes, tandis que déjà l’assaut est donné dans le fracas des grenades et des tirs. Après quelques dizaines de secondes de combat, le silence revient. L’irréparable s’est produit. Deux gendarmes mobiles sont morts. Deux Corses sont blessés, dont un occupant de la cave, Pierrot Susini, qui a le pied arraché. »

Commémoration des 50 ans des événements d’Aleria : "Écrire une nouvelle page de l’histoire de ce peuple"

La fresque réalisée par l'artiste Piombu.

"Rien ne sera plus comme avant"

Debout à ses côtés, ledit Pierrot Susini est chaleureusement applaudi par la foule qui, jusque-là était demeurée silencieuse.  Tout à son rôle de tribun rassembleur, Gilles Simeoni reprend : « Désormais, à compter de ce jour, rien ne sera plus comme avant. Un demi-siècle a passé, deux générations, cinq décennies de luttes, de difficultés, de sacrifices, sans doute d’erreurs, mais aussi de victoires, d’avancées, de prises de conscience, de conquêtes démocratiques. C’est grâce à vous tous si nous sommes là aujourd’hui et que le peuple corse n’a pas connu, dans les années 70 et 80, le sort funeste qui lui était promis. Et de conclure, optimiste : « Est-ce un hasard ou est-ce plutôt un signe si se télescopent, dans une même unité de temps et d’action, le tricentenaire de Pasquale Paoli, les 50 ans d’Aleria et une fin d’année 2025 qui doit être celle d’une révision constitutionnelle garantissant à la Corse un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice, et posant le cadre d’une solution politique globale ? Nous avons conscience des difficultés qui nous attendent, mais aujourd’hui plus encore qu’hier, il n’y a pas de place pour le renoncement, ni pour les hésitations. Cinquante ans après, nous allons écrire une nouvelle page de l’histoire de ce peuple. »

Commémoration des 50 ans des événements d’Aleria : "Écrire une nouvelle page de l’histoire de ce peuple"

Gilles Simeoni a rappelé la réalité des événements d'Aleria, auxquels avait participé son père Edmond.