L'impact de la Corse indépendante sur les enjeux actuels développé à la tribune des chercheurs de Bastia

Rédigé le 20/06/2025
Léana Serve

À l’occasion des 300 ans de la naissance de Pascal Paoli, chercheurs et doctorants se sont réunis en colloque ce vendredi à Bastia autour d’un objectif commun : analyser les dimensions politiques, juridiques, économiques et sanitaires de la Corse indépendante, pour mieux comprendre l’impact de cette période sur les enjeux actuels.

“Le but, c'est d'avoir une vision de l'histoire très riche qui ne s'arrête pas seulement à un personnage historique, mais aussi à ses influences culturelles, intellectuelles, ou économiques.” À l'occasion du tricentenaire de la naissance de Pascal Paoli, la société des sciences historiques et naturelles de la Corse et l’université de Corte ont organisé à Bastia, dans le cadre de leur 16e tribune des chercheurs, un colloque sur le thème “L’environnement de la Corse indépendante : la Méditerranée du XVIIIe siècle (1755 - 1769)”. Une réflexion qui avait pour but de mieux comprendre cette époque pour en tirer des enseignements utiles aujourd’hui. “Nous avons voulu proposer une articulation autour de la Constitution de Pascal Paoli, pour comprendre comment il l’a pensée et avec quelles inspirations”, explique Wanda Mastor, directrice de l’école doctorale environnement et société. “À ce contexte institutionnel et intellectuel se greffe aussi un contexte économique. L’idée, c’est de comprendre l’état de la Méditerranée à l’époque, afin d’enrichir notre appréhension de Pascal Paoli.”
 

Toute la journée, chercheurs et doctorants ont exploré la période de la Corse indépendante sous plusieurs angles : politique, juridique, économique ou encore culturel. Parmi les interventions, Mohamed Sylla a abordé l’histoire constitutionnelle de la Corse au XVIIIe siècle. Doctorant et membre de l’équipe méditerranéenne de recherche juridique, il s’est intéressé à la manière dont la République corse de Pascal Paoli s’est construite sur un mélange d’influences juridiques, en particulier latines. Selon lui, la Constitution de 1755 est souvent présentée à tort comme inspirée uniquement par le modèle britannique. “On dit que cette Constitution a eu plusieurs influences parce qu’elle est novatrice pour l’époque, et les gens attribuent ces innovations au droit anglais. Mais les siècles de domination génoise n'ont pas laissé l'île intacte, et ça a enraciné certaines pratiques et idées qui viennent d’abord du monde latin.” Il ajoute que Pascal Paoli cherchait surtout à construire une République stable, en s’appuyant sur ce qui fonctionnait et en l’adaptant à la société corse. “Il était soucieux d'une République stable et forte, en accord avec les personnes qu'il gouvernait en ce moment.” Selon lui, ce travail peut aussi servir aujourd’hui, alors que des réflexions sont en cours sur une possible autonomie de l’île. “La Constitution a toujours une influence, parce qu’elle montre le processus d'hybridation que la Corse a subi pendant cette période. Aujourd'hui, on parle de quête d'autonomie de l’île, et l’influence pourrait servir pour montrer qu’elle a déjà connu un certain pluralisme juridique. Elle pourrait servir de piste pour les élus ou même les scientifiques. Des procédures ont déjà existé par le passé, pourquoi on n’explore pas cette piste pour l'avenir ?”
 

Comprendre les épidémies d’hier pour mieux se protéger
Autre approche développée lors du colloque : celle de la santé. Paul-Alexandre Schmitt, doctorant et membre du laboratoire sciences pour l’environnement, s’intéresse à l’état sanitaire de la Corse à la fin du XVIIIe siècle. Son travail consiste à croiser les données scientifiques et historiques, en analysant notamment des documents d’archives. Pour son intervention, il a étudié une enquête napoléonienne réalisée en 1802, et envoyée à plus de 190 communes corses. “C’est une enquête qui traite de plusieurs sujets, dont les maladies infectieuses. On voit que la rougeole et la variole étaient très présentes à l’époque, et qu’elles survenaient à des temps différents, mais toujours en même temps. Par exemple, chaque village citait une épidémie de rougeole et de variole : la première survenait tous les cinq ans, et la seconde tous les sept ans. Le paludisme était aussi présent dans une grosse partie des villages. J’ai également regardé au niveau des maladies de bétail, et la brucellose, transmissible à l’Homme, est aussi citée.”
 

Des maladies qui touchaient particulièrement la Corse en raison de plusieurs facteurs, comme la pauvreté, mentionnée dans l’enquête. “La pauvreté est très souvent citée. Par exemple, le maire de Grossa demandait des médicaments pour lutter contre une épidémie de fièvre typhoïde dans les années 1760.” À cela s’ajoutent les conditions de vie et ce qu’on appelait alors le “mauvais air”. La géographie de l’île jouait aussi un rôle. “Le fait que la Corse soit positionnée dans le bassin méditerranéen, et le fait qu'elle ait autant d'interactions avec les autres pays, comme l'Espagne ou le nord de l'Afrique ont contribué au développement des maladies. Mais pour revenir à la brucellose, il y avait beaucoup d’élevages au niveau des zones montagneuses, donc la maladie pouvait circuler.”

Pour lui, ces recherches ont une utilité bien au-delà de l’Histoire, puisqu’elles permettent de mieux comprendre comment les maladies ont circulé dans le passé, et donc d’anticiper certains risques actuels. “On l’a vu avec la crise du Covid, certaines maladies sont susceptibles de revenir, on parle de maladies réémergentes. Je pense qu’il y a des éléments dont il faut tenir compte, et c'est aussi pour ça qu'on fait de la paléomicrobiologie, parce qu'elle nous donne des données évolutives sur les microbes, qui évoluent comme tout être vivant. Si quelqu’un est atteint demain par une souche très ancienne de la rougeole ou de la variole, son organisme sera-t-il capable de se défendre, et aura-t-on les moyens radicaux pour se défendre ?”