Ce soir, à Bastia, comme dans toute la Corse, les rues résonneront du pas lourd des pénitents du Vendredi saint. À San Ghjisè, celui qui portera la croix s'est longuement préparé pour communier à la Passion du Christ. Sous couvert d'anonymat, il livre à CNI ses confidences, empreintes de foi et de profonde émotion.
Alors que le soleil se couchera sur Bastia, le pénitent de San Ghjisè, revêtu de son habit rouge, arpentera ruelles et venelles, portant la croix sur son dos pour revivre, le temps du Catenacciu, la Passion du Christ. Cette marche sacrée, marquant les 14 stations de douleur, se prépare longtemps à l’avance, autant dans le corps que dans l’âme.
À quelques heures de son chemin de croix, le futur porte-croix livre ses confidences. Sa voix est posée, mais l’émotion affleure : « J'ai la gorge nouée et le cœur serré », confie-t-il d’une voix calme, laissant deviner toute l’intensité de ce qu’il s’apprête à vivre. Issu d’une famille athée, il explique pourtant avoir toujours ressenti, depuis son enfance, "le besoin de Dieu et de l'Église".
"Autour de moi, il y avait des croyants catholiques que je fréquentais. C'est comme si j’éprouvais du dépit de ne pas être comme eux. Quelque chose manquait à ma vie."
Son cheminement s’est imposé au fil des épreuves : "Comme tout le monde, j'ai connu des événements difficiles, et cela a renforcé mon désir de me tourner pleinement vers Dieu."
Baptisé il y a un an, il décrit ce passage comme une évidence, mais aussi comme le point de départ d’une quête plus exigeante : "Le baptême m'a absous de mes péchés, mais cela me semblait trop facile. Faire le catenacciu, c’est ma façon d’aller plus loin, de donner de ma personne à Dieu." "Je sais que ce que je vais vivre n’est rien par rapport à ce que le Christ a enduré", ajoute-t-il avec humilité. Lui qui confie avoir traversé une jeunesse marquée "par la rage et la violence", voit aujourd'hui en Dieu "une source immense d’apaisement".
"Je voudrais que nous soyons unis pour vivre dans l'amour"
Au-delà de sa démarche personnelle, le pénitent porte aussi une aspiration collective.
"Le patibulum que je vais porter a une portée symbolique immense. Ce soir, je veux porter aussi l’espérance d’un monde plus fraternel."
S’il se décrit comme peu émotif en général, il reconnaît que la perspective de ce chemin de croix l’ébranle profondément : "Je n’aurai pas peur en marchant, mais en pensant à ce moment-là, j’ai envie de pleurer."
Accompagné spirituellement par le Père Bertoni, il témoigne d'une foi vécue au quotidien : "Chaque jour, je me demande ce que je peux faire comme bonne action. Pas forcément de grandes choses : un sourire, une attention, un bonjour. Cela me remplit de joie."
Dans cet engagement simple et sincère, il livre son vœu : "Je voudrais tellement que nous soyons tous unis pour vivre dans l’amour. C’est cela, ma religion."
Un chemin de foi silencieux
À San Ghjisè, ce vendredi soir, son habit rouge et sa croix lourde seront autant de signes visibles de ce chemin intérieur. "J'espère ressentir la douleur, car plus je la sentirai, plus je me rapprocherai du Seigneur."
Il évoque enfin, avec émotion, l'instant où il s'élancera : "Je m’imagine dans la nuit, portant l'habit rouge, la croix sur le dos. Rien qu’en y pensant, je perds mes moyens tant l'émotion est forte."