Invité par le cercle Presenza Paolina, le politologue québécois a présenté ses travaux sur les communautés nationales non souveraines à l’occasion d’une Université Populaire organisée sous le marché couvert de L’Île-Rousse.
Jeudi 26 juin, le marché couvert de Lisula s’est transformé en agora citoyenne. À l’initiative du cercle de réflexion Presenza Paolina, une nouvelle Université Populaire y a rassemblé un public attentif autour de la question des « nations fragiles ». Félix Mathieu, politologue québécois, professeur à l’Université de Winnipeg et spécialiste des communautés non souveraines, était l’invité central de cette conférence placée sous le signe du tricentenaire de la naissance de Pasquale Paoli. Son intervention, intitulée « Les nations fragiles : trajectoires sociopolitiques et défis contemporains », a posé les bases d’une typologie claire : une nation dite « fragile » est une communauté qui ne dispose pas d’un État souverain propre, dont la reconnaissance politique, l’autonomie gouvernementale et la capacité d’autodétermination sont limitées. « La fragilité d’une nation dépend du regard que porte sur elle l’État qui l’encadre », a souligné le professeur. Avant de préciser : « Une communauté non souveraine n’est jamais totalement fragile ou forte. Tout dépend des leviers institutionnels qui lui sont accordés. » Si la Corse ne figurait pas initialement dans ses études de terrain, Félix Mathieu a accepté de livrer une première lecture comparative. « Le cadre constitutionnel français reste très verrouillé. La décision du Conseil constitutionnel de 2018, niant l’existence d’un peuple corse, est un marqueur clair de fragilité. »
Le politologue a cependant noté certains « acquis » en matière d’autonomie, notamment sur la langue, tout en relevant les limites structurelles d’un État fortement centralisé. « Sur la question de l’autodétermination, les marges sont très réduites. Un référendum consultatif est possible, mais pas sur la souveraineté. »
La figure de Pasquale Paoli, au cœur des engagements de Presenza Paolina, a également été interrogée. Pour Félix Mathieu, les mythes politiques ont un rôle ambivalent : « Tout dépend de l’usage qu’on en fait. Ils peuvent structurer un imaginaire démocratique ou, au contraire, figer les débats. » Au fil de son propos, le conférencier a cité plusieurs exemples de statuts d’autonomie à l’étranger. Le Tyrol du Sud, en Italie, est présenté comme un cas d’évolution réussie. L’Espagne, à l’inverse, a vu certaines compétences autonomes progressivement recentralisées. « L’autonomie peut être une coquille vide ou un levier réel, selon la manière dont on la fait vivre. » En clôture, le professeur a confié vouloir inclure la Corse dans ses futures recherches comparatives.
Un espace de pensée libre et populaire
Fondé en 2017, Presenza Paolina s’est imposé comme un espace de débat et de réflexion original en Corse. Son président, le politologue Thierry Dominici, a voulu ancrer ce cercle dans l’héritage critique de Paoli tout en s’en affranchissant des récupérations partisanes. « Il y avait un brouillage autour de la figure de Paoli. Nous avons voulu en faire un outil de réflexion républicain et collectif », rappelle-t-il.
Depuis sa création, le collectif a organisé une dizaine d’Universités Populaires dans la région de Balagne, abordant des thématiques aussi diverses que les migrations, l’écologie ou les statuts politiques. Sa démarche repose sur trois piliers : accessibilité, exigence intellectuelle et ancrage local. Aucun financement public n’est sollicité. Les intervenants, souvent internationaux, viennent à leurs frais.
Le collectif se revendique comme un think tank insulaire, indépendant de toute obédience politique. « Ce qui nous guide, c’est la volonté d’offrir des outils de compréhension à la société corse », résume Thierry Dominici. Son président d’honneur, le sociologue Jean-Louis Fabiani, en incarne l’exigence académique.