​Jean-Guy Talamoni : « Napoléon 1er et Pasquale Paoli se vouaient une estime réciproque »

Rédigé le 15/08/2025
Patrice Paquier Lorenzi

Enseigneur-chercheur à l’Université de Corse, Jean-Guy Talamoni a animé ce jeudi à l’OIT du Pays d’Ajaccio, une conférence sur le thème « Napoléon et Pasquale Paoli : irréconciliables ? ». L’ancien président de l’Assemblée de Corse a évoqué, ainsi, les rapports souvent complexes entre admiration et méfiance de deux personnages historiques insulaires dans le cadre des « Journées Napoléoniennes ».

​Jean-Guy Talamoni : « Napoléon 1er et Pasquale Paoli se vouaient une estime réciproque »

Jean-Guy Talamoni anime ce jeudi une conférence sur les rapports entre Napoléon et Pasquale Paoli à l'OIT du Pays d'Ajaccio dans le cadre des journées napoléoniennes.

- Quelle est pour vous la première image que s’est faite Napoléon dans sa jeunesse, à propos de Pasquale Paoli ?
- Napoléon a été élevé dans une famille paoliste. Jusqu’à l’âge de 20 ans, il n’avait que de l’admiration pour Pasquale Paoli. Il a d’ailleurs été élevé dans une famille paoliste. Son père, Charles Bonaparte, était d'ailleurs un proche de Paoli. Après la conquête française, il a même normalisé, je dirais, ses relations avec les autorités françaises. Un trop peu rapidement peut-être au goût même de Napoléon, qui lui a rapproché ce ralliement aux autorités françaises. Comme dit Jean Tulard, qui est un peu le pape des études napoléoniennes à la Sorbonne à Paris, à 20 ans, Napoléon n'est que Corse. Il ne se sent pas français du tout. Il est même anti-français à cet âge-là. Il est toujours un admirateur de Paoli. Il regrette même que l'indépendance de la Corse ait pris fin de cette manière. Il reproche aux Français de s’être emparés de la Corse. D'ailleurs, à l'âge de 20 ans, il s'essaye à la création littéraire en écrivant quelques nouvelles. Certaines sont très connues, comme « Le souper de Beaucaire », mais il écrit aussi une nouvelle intitulée « Nouvelle Corse », qui n'est d’ailleurs pas terminée apparemment, et dans laquelle, il laisse libre cours à ses sentiments anti-français.
 
- Comment expliquez-vous que Napoléon, issue d’une famille paoliste, se soit progressivement éloigné de Paoli ?
- Je pense qu'en fait, à un moment donné, il entrevoit aussi une carrière, notamment après Toulon, où sa vie a complètement basculé. Napoléon a fait un choix. Et, sa vie va prendre une nouvelle direction. C'est vrai qu’à l'âge de 20 ans, il écrit à Paoli avec une lettre très connue « Les Français vomissent sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans un flot de sang ». Paoli répond quand même à ses lettres et à ses demandes avec une certaine froideur. Est-ce qu'il se méfie de Napoléon parce que Charles Bonaparte l'a déçu ? Paoli ne répond pas avec beaucoup d’enthousiasme, à celui manifesté par Napoléon à son égard. A un moment donné, d'ailleurs, Napoléon dit à Paoli qu'il voudrait écrire une histoire de la Corse et Paoli lui répond « Vous êtes bien jeune pour écrire une histoire de la Corse ».
 
- Est-ce qu'il y a eu un moment précis quand même pour vous, justement, un acte ou un discours qui a cristallisé leur rupture ?
- Forcément je vous répondrais 1793, et la séparation avec la France, puisque jusqu’ici, Paoli exerçait des responsabilités à la fois civiles et militaires au titre de l'administration française. Il était revenu, avec les honneurs, et même dans une dimension illégale, parce qu'il cumulait les fonctions civiles et militaires, ce qui normalement n'aurait pas été possible. Il arrive vraiment en position de force en Corse, et puis les choses vont se gâter. 1793, c'est le moment où il y a cette séparation qui va s’accentuer avec le royaume Anglo-corse à partir de 1794. Alors qu’évidemment, Napoléon, lui, à ce moment-là, a choisi la France.
 
- Comment Napoléon a perçu le ralliement de Paoli aux Anglais à ce moment-là ?
- Napoléon choisit de se faire une place dans cette France révolutionnaire alors Paoli se dispute avec la Convention. Il est d’ailleurs convoqué mais n’y va pas car il sait très bien ce qui l’attend là-bas. Leurs chemins se séparent à ce moment-là. Paoli va connaitre alors son 3e exil, mais le second en Angleterre lorsque ses rapports se tendent avec la Vice-Roi de Corse, Sir Elliot. Il ne reviendra plus jamais en Corse et mourra là-bas. Napoléon offrira bien à Paoli une possibilité de revenir mais des conditions qu’il ne pourra pas remplir, sinon à renier son parcours. Paoli écrira d’ailleurs à la fin de sa vie : « Grâce à Napoléon, le nom de la Corse n’est plus tenu dans le mépris ». Napoléon conservera toujours en lui cette admiration de Paoli. Leurs relations se sont gâtées progressivement ils n’avaient tout simplement plus la même vision de la Corse. Napoléon a tourné le dos à la Corse, à un moment donné et il faut savoir le reconnaitre. Il a envoyé sur l’île, le Général Morand, qui était un véritable tortionnaire, quelqu’un d’épouvantable. Il connaissait ses façons de faire mais ne l’a véritablement jamais sanctionné, alors qu’il aurait pu le faire
 
- Dans quelle mesure leur différence, est-ce qu'elle relevait seulement la politique, ou elle relevait aussi de la personnalité et du style de leadership ?
- C’était une époque où les Chefs d’Etat étaient brutaux. Paoli était un humaniste mais comme on pouvait l’être au 18e siècle. Ils ont tous les deux fait des guerres à des degrés différentes. Et, il y avait une véritable brutalité dans l’aspect politique. Napoléon était à la fois un politique et un militaire de génie. Paoli n’est pas un militaire de génie malgré sa formation. Paoli était un politique avant tout. La Corse de Paoli a apporté une contribution pratique à l’Europe des Lumières avec le principe de séparation des pouvoirs, entre l’exécutif et le législatif, et une véritable Constitution. Il y a un vraiment un apport important de la pensée politique corse à l’époque de Paoli.
 
- On sent quand même en vous une certaine admiration pour Napoléon. Une vision qui va d’ailleurs à contre-sens du courant nationaliste en Corse en général…
- Je suis Paoliste comme tous les nationalistes. On commémore Napoléon et on célèbre Paoli. Mais, la réappropriation de toutes les figures historiques corses est une priorité absolue. J’ai milité en ce sens et j'ai même lancé un programme « Napoléon-Paoli » à l'Université de Corse et à la Collectivité, qui l’a d‘ailleurs validé. Ces travaux sont accessibles au sein de la revue « Lumi ». J’interviens dans ce cadre en tant que chercheur et universitaire. Après, bien évidemment que pour tous les nationalistes, le héros c’est Paoli. Aujourd’hui, nous ne sommes plus là pour donner des bons et des mauvais points à ces deux illustres personnages. On est maintenant dans le registre de l’étude et de la réappropriation au bénéfice de la Corse. Napoléon peut même permettre de faire mieux connaitre Paoli. Car, en dehors de la Corse, il n’est plus connu comme il a pu l’être au 18e siècle. Cette réconciliation est aussi importante pour permettre une réconciliation entre Corses, tout simplement. Jusqu’il y a peu de temps, c’était quasiment impossible d’imaginer une statue de Paoli à Ajaccio .
 
- Finalement, Napoléon et Paoli sont-ils définitivement irréconciliables ?
- C’est un terme discutable. Evidemment que leurs chemins se sont séparés au niveau politique. Il y a eu conflit : Napoléon a été pourchassé par les Paolistes et a dû prendre le bateau. En revanche, on sait qu’ils ont eu tous deux une véritable estime réciproque, qui s’est poursuivie jusqu’à la mort de Paoli. Cela a été une relation d’admiration, mais aussi conflictuelle à certaines périodes de l’Histoire et aujourd’hui ce sont des relations sur lesquelles il nous faut travailler pour faire progresser la connaissance .