Calvi : "Tout est parti en fumée", après les incendies de bateaux, colère et sidération sur le port

Rédigé le 04/06/2025
Maria-Serena Volpei-Aliotti

Deux nouvelles embarcations ont été détruites dans la nuit de mercredi à jeudi sur le port de Calvi, après cinq bateaux ravagés la veille. Entre colère, tristesse et incompréhension, les professionnels de la mer s’organisent face à ce qu’ils considèrent comme une attaque contre tout un pan de l’économie locale.


Une odeur tenace de plastique fondu et de carburant flotte encore sur les quais. Le décor est désolant : coques calcinées, équipements fondus, débris flottants. Cette nuit encore, les flammes ont frappé. Un catamaran hybride de 23 mètres et un semi-rigide sont partis en fumée, un troisième bateau a été endommagé. La veille déjà, cinq autres navires de promenade avaient été visés. Huit bateaux incendiés en 48 heures. Un coup dur pour les professionnels, abasourdis.

Sur les quais, le capitaine du catamaran Dolce Vita peine à contenir son émotion. « Mon armateur m’a appelé à 4h20. Avec ma femme, qui travaille aussi sur le bateau, on est venus en courant… Le bateau brûlait. Des flammes de plus de cinq mètres. On savait que c’était fini. » Son embarcation, vitrine d’un projet de navigation douce, alliant voile et motorisation hybride, est totalement détruite. Quinze marins se retrouvent aujourd’hui sans travail. « C’est comme perdre un compagnon de route. C’est mon fidèle destrier. Psychologiquement, je coule un peu avec lui. »

Le capitaine raconte les mois de préparation, les espoirs portés par ce navire et l’accueil grandissant du public. « On avait commencé à tourner. Des passagers revenaient, des locaux aussi. C’était un vrai projet collectif. On s’était adaptés aux attentes. On proposait une navigation lente, respectueuse de la mer. »
Aujourd’hui, ce sont des cendres et beaucoup de questions sans réponse qui occupent les quais. Le capitaine ne cache pas son désarroi : « C’est un profond dégoût. On a mis tout notre cœur dans ce projet. Ce n’est pas seulement un bateau qui brûle, ce sont des mois de travail, des familles touchées, des prestataires impactés. C’est tout un écosystème qui vacille. » Autour de lui, les marques de soutien se multiplient. « Des gens que je ne connaissais pas m’arrêtent dans la rue pour me dire : “Capitaine, bon courage !” Ils étaient venus à bord, ils se souvenaient. » Lui aussi était fier, fier de faire naviguer un catamaran de cette taille, fier de proposer une expérience différente. « Ma famille était fière de moi. Ma femme, qui est enceinte, travaillait avec moi. C’est dur pour tout le monde. »
Mais au-delà de la perte matérielle, c’est l’absence d’explication qui ronge. « Il n’y a aucun message, aucun signe annonciateur. Rien. Tous les bateliers ont été visés, sans distinction. C’est cette incompréhension qui est la plus dure à supporter. »

 

Un peu plus loin, Mylène Beretti, de la société Giru in Mare, n’en revient toujours pas. Deux de ses trois semi-rigides ont été la cible d’un incendie la veille. « Coup de fil à 3h du matin… Nos bateaux en feu. Heureusement, un confrère est arrivé à temps. Il a réussi à en sauver un. » L’un des bateaux est réparable, l’autre en attente d’expertise. Depuis deux jours, elle vit dans une « machine à laver émotionnelle ». « On a eu de la colère, maintenant on est brassés. On ne dort plus, on est dans l’urgence des assurances. Mais le contrecoup, il viendra. »

 

"On travaille tous ensemble"
Un peu plus loin sur les quais, Mylène Beretti, gérante de la société Giru in Mare, tente elle aussi de garder le cap. Dans la nuit de mardi à mercredi, deux de ses bateaux semi-rigides ont été touchés. « Le téléphone a sonné à 3 heures du matin. On nous a dit que nos bateaux étaient en feu. Heureusement, un confrère, amarré à proximité, est intervenu immédiatement. Il a pu maîtriser les flammes avec un extincteur et un tuyau d’eau. Il nous a sauvé le 12 mètres. Celui-là est réparable. L’expert doit passer, mais on pense pouvoir le remettre à l’eau rapidement. Le second, en revanche, c’est plus compliqué. On ne sait pas encore si on pourra l’exploiter cet été. »

Depuis deux jours, les nuits sont courtes. Et l’adrénaline ne retombe pas. « Je ne sais même pas dans quel état d’esprit je suis. Je suis dans l’action, je gère les assurances, l’organisation, les bateaux. Mais le contre-coup viendra, c’est certain. Au début, c’est la colère. Puis, c’est comme si on était secoués dans une machine à laver. On est brassés. »

Comme beaucoup de professionnels du port, elle a aussi été réveillée ce jeudi matin pour aller prêter main-forte à d'autres équipages. « C’est ça aussi, notre force. On travaille tous ensemble. Bien sûr, pendant la saison, on est concurrents, mais dans une ambiance saine. On s’envoie des passagers quand on est complets. Cette nuit encore, tout le monde était là, à essayer de sauver ce qui pouvait l’être. »

Les images de vidéosurveillance qu’elle a pu consulter ne laissent aucune place au doute. « On voit clairement l’individu passer une première fois à 2h30. Il longe le quai, va jusqu’au fond. Il repasse une demi-heure plus tard. Il verse de l’essence, il allume. C’est net. Et on ne comprend pas. On est juste des travailleurs. On ne fait partie d’aucune organisation. On fait notre métier, c’est tout. »

L’inquiétude grandit aussi pour les équipes. « On a deux capitaines et une personne à la guérite. Mais si au final on n’a que deux bateaux en état de naviguer, ça devient compliqué. On n’a pas encore pris le temps d’aborder cette question. Pour l’instant, notre priorité, c’est de relancer l’activité, remettre les bateaux à l’eau. On a une super équipe, très engagée. Si on peut les garder, on le fera. Mais ce sont des saisonniers, et leur situation peut vite devenir précaire. »