L’Assemblée de Corse a adopté à l’unanimité la création et les statuts des deux Syndicats mixtes ouverts (SMO) aéroportuaire et portuaire dans le cadre du rattachement des chambres consulaires à la Collectivité de Corse (CDC). Malgré l’accord de principe de la ministre, l’Exécutif rappelle qu’il reste de nombreuses incertitudes à lever de la part de l’Etat. Une nouvelle réunion est prévue jeudi prochain. L’opposition de droite et d’Avanzemu ont rempilé sur les retards et fustigé le président Simeoni pour la grève qui a paralysé la Corse pendant deux jours. Les amendements ont été rejetés et renvoyés à la session de novembre.

C’est un pas de plus dans le dossier complexe du rattachement de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) à la Collectivité de Corse (CDC), qui a été franchi en session, jeudi, à l’Assemblée de Corse par l’adoption à l’unanimité de la création des deux syndicats mixtes ouverts (SMO) portuaires et aéroportuaires. Ces deux SMO avec régie ascendante de concession à la CCI, système transitoire dans l’attente de la création par la loi d’un établissement public de type EPIC, permet à la CCI de continuer d’assurer l’exploitation des ports et aéroports de l’île au-delà de la date d’expiration des concessions fixée au 31 décembre 2024, et de garder cette gestion sous maîtrise publique corse. Le revirement de l’Etat en toute dernière minute, lors de l’Assemblée générale extraordinaire de la CCI qui a validé à l’unanimité cette solution le 3 octobre, « ses extrêmes réserves » sur « les fragilités juridiques du SMO », pas identifiées et jusque-là jamais soulevées, et « l’obligation d’ouverture à la concurrence », via des appels d’offre, ont provoqué la colère de l’Exécutif corse, de la CCI et des personnels dont l’emploi se trouvait ainsi menacé. La crise, qui s’est traduite par le blocage des ports et aéroports de l’île pendant deux jours, s’est finalement dénouée avec l’intervention de la ministre du Partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Catherine Vautrin a accepté le principe de la maîtrise publique, le principe des SMO en attendant la solution pérenne de rattachement par la loi des Chambres consulaires à la CDC.
 
Une solution pérenne
Le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, est revenu d’emblée sur cet « épisode de tension » et l’accord qui en a résulté avec la ministre Vautrin. « Nous avons évoqué les deux options juridiques qui s’offrent à nous. Soit le SMO avec quasi régie ascendante, soit le rattachement de la CCI et de la Chambre des métiers à la CDC, conformément à ce qui est prévu par l’article 46 de la loi Pacte. Cette seconde solution impose une loi et l’identification d’une fenêtre législative. Elle est privilégiée par Madame Vautrin qui préfère des formules pérennes à des formules transitoires ». Après une présentation générale fin septembre, l’Assemblée de Corse était, donc, appelée à voter sur le projet de création du SMO. Les statuts prévoient l’intégration de l’Office de l’environnement dans le SMO et la composition des membres du Conseil syndical qui « permet de respecter les principes politiques que nous avions acté, notamment la répartition entre la CDC, la CCI et les autres membres. Ils intègrent un nombre de voix de la CDC qui permet une représentation proportionnelle de chaque tendance politique, également d’assurer, qu’au-delà des groupes, chaque sensibilité soit représentée ». Les membres de l’assemblée de Corse seront désignés lors de la session de novembre. Le président Simeoni se félicite de l’unanimité obtenue « sur le principe d’une maîtrise publique des infrastructures et sur la nécessité de le faire dans les meilleures conditions ». Avant de préciser qu’il continuait avec la CCI de « travailler de façon étroite avec le ministère et les différents services concernés sur l’organisation des deux solutions ». Un nouveau rendez-vous est prévu jeudi prochain à Paris à cet effet.

Une salve de critiques
Si le rapport a été adopté à l’unanimité, aucun groupe ne pouvant sous le regard des personnels et du président de la CCI présents dans les tribunes du public, faire autrement, ce ne fut pas sans tension, ni critiques. L’opposition de droite et d’Avanzemu a, comme lors de la session de septembre, surfé sur les retards et le blocage des ports pour tirer à boulets rouges sur le président de l’Exécutif, le rendant responsable de la situation. Christelle Combette, pour le groupe U Soffiu Novu, en remet une couche sur « quatre années de procrastination, d’instabilité pour les salariés consulaires et d’impréparation, quatre années perdues ». Avant de lancer au président Simeoni qu’il a mal agi avec l’Etat : « Il est temps de faire preuve de responsabilité. Une responsabilité que vous semblez avoir du mal à endosser. Votre surréaction théâtrale à la mise en garde du sous-préfet lors de l’AG de la CCI n’était pas digne de votre fonction. Même si on peut considérer que la forme n’a pas été respectée de son côté non plus par rapport aux échéances que vous avez eu précédemment avec le corps préfectoral. Votre comportement du jour était-il un aveu de faiblesse sur ce dossier ? Avez-vous seulement mesuré les conséquences de vos propos pour les Corses qui n’ont comme seul choix que de se rendre sur le continent pour des soins médicaux, souvent vitaux, pour une saison touristique qui est correcte en termes de fréquentation, mais dans les acteurs se plaignent pour ce qui concerne les retombées économiques, pour l’image que nous projetons à ceux qui ont dû annuler leur séjour ou rester bloqués sur place ? Ne pensez-vous pas que ces menaces, ces blocages, ces chantages finissent par lasser tout le monde ? Les Corses d’une part et le gouvernement d’autre part ». Pour elle, on reste encore « dans un flou total. Nous attendons des garanties fermes pour que le scénario envisagé soit juridiquement viable, qu’il ne soit pas mort-né ».

La voix des territoires
Autre salve frontale, celle du président du PNC-Avanzemu. Jean-Christophe Angelini, dénonce la gestion du temps. « Vous avez perdu un temps précieux. Le dossier n’est pas clos aujourd’hui, même si la ministre dit vouloir régler le problème par la loi. Le SMO lui-même, dès l’heure qu’il rentrera en vigueur à compter des prochaines semaines, va nécessairement être appelé, au mieux à évoluer, au pire à être remis en cause, voir à subir des déconvenues ». Il revient sur sa marotte, celle de l’implication des territoires. Il demande que « les EPCI et les communautés d’agglomération soient associées à l’exploitation des ports et aéroports relevant de leur territoire, qu’elles puissent faire remonter la voix des territoires. Qu’elles puissent être forces de propositions quand il s’agit de consolider les lignes, d’acheter de flux et d’ouvrir des lignes supplémentaires ». Tout en dénonçant, comme à son habitude, le « jacobinisme » du pouvoir exécutif, il propose des amendements en ce sens. Avant de revenir lui aussi sur l’attitude de Gilles Simeoni dans son bras de fer avec l’Etat : « Il faut se défier des déclarations de guerre, il faudrait mieux un appel à la paix. On va avoir des difficultés, on va avoir besoin y compris des adversaires d’hier. Il ne faut renoncer à aucun de nos fondamentaux, mais il faut instaurer un climat de confiance propice. Le principe de réalité va se rappeler à nous. Il faut mieux apaiser que souffler sur les braises ». Une confiance qu’il refuse désormais à son ex-allié. S’en suivra un court échange vif et acerbe avec le président de l’Exécutif.

Des garanties politiques
Des critiques d’un autre ordre émanent du président de Core in Fronte. Paul-Félix Benedetti retient, d’abord « la bonne chose supposée : la continuité de vie en Corse et la garantie de pérennisation du travail pour les 1000 salariés directs, et ce qui est vital, à savoir les échanges avec les ports et aéroports ». Il partage une partie de l’analyse de la droite « sur le temps donné au temps. On est dans l’urgence qui a été elle-même créée par la volonté de chercher un compromis qui peut devenir compromettable, c’est-à-dire, en même temps, la volonté de garder la main sur ce bien fondamental, la volonté de garantir aux salariés le maintien de leurs emplois et du corollaire social qui les accompagne, et aussi la volonté de ne pas trop déplaire au patronat corse ». Il propose deux amendements modifiant les statuts. Le premier suggère de localiser à Corte un des deux SMO. Le second entend renforcer le pouvoir politique avec un conseil syndical composé « de représentants qui soient là non pour faire un acte de présence, mais un acte de contribution, voire de contestation » et qui soit l’organe décisionnel et fonctionnel. Il demande la suppression du bureau et du comité de développement prévus dans les statuts « dans un souci de transparence, d’efficacité et de recentrage des pouvoirs. Le développement doit être planifié à la Collectivité territoriale et validé par le Comité syndical. C’est le seul moyen d’avoir un recentrage politique, d’éviter les doublons et les chambres occultes ». Le leader indépendantiste affirme qu’il faut « mettre un cadre à un système consulaire qui, historiquement, a été nébuleux. Je cherche à donner des garanties aux personnels, aux Corses, de faire en sorte que ces établissements ne soient pas des centres de profits mafieux, mais des centres de profits pour les Corses et la Corse ».

L’utilité du rapport de forces
Pour sa part, l’élue de Corsica Libera, Josepha Giacometti, tire deux enseignements de l’épisode du rapport de forces avec l’Etat : « Un fonctionnaire zélé, dénotant une certaine déloyauté à l’égard de la parole donnée, donne un petit coup sur une faille, sur les retards pris et les atermoiements. Il en profite pour dépasser les bornes. Rien de bien nouveau ! Le rapport de forces a permis de trouver une sortie assez rapide. Les logiques de rapports de forces sont utiles et indispensables. Elles auraient dû s’appliquer dans d’autres domaines ». Pour elle, « le communiqué de la ministre ne dit pas bien plus que les propos maladroits et déloyaux qui ont mené à la mise en œuvre du rapport de forces. Ils sont plus politiques, plus policés, mais appellent tout autant à la prudence sur certains risques juridiques. Ils ne sont pas plus rassurants ». Elle prône, donc, la prudence et un engagement soutenu car « nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau coup de boutoir des partenaires zélés. Le point clé, ce sont les garanties sociales à apporter au bénéfice des Corses et de la maîtrise stratégique de nos infrastructures portuaires et aéroportuaires qui va de pair avec la maîtrise publique des transports. Cette exigence, nous la partageons. Cet objectif n’est pas encore garanti et sécurisé ».

Pas question d’obéir !
La majorité territoriale n’apprécie pas du tout la salve de la droite. Le vice-président de l’Assemblée de Corse. Hyacinthe Vanni, assène vertement : « Il est hors de question qu’on laisse qui que ce soit s’emparer de nos ports et de nos aéroports ! Oui, on peut s’énerver parfois, mais on ne va pas se laisser conter des chansons par un SGAC, un préfet, un ministre ! ». Il rappelle que ce dossier a été porté en commun avec la CCI, qu’il a été validé « et un fonctionnaire de l’Etat vient nous dire : « Ce n’est plus possible. Circulez, il n’y a rien à voir ! ». Et on ne devrait rien dire, on devrait écouter, obéir ». Il lance à la droite : « Ce qui nous différencie, c’est que le service public dans le maritime et l’aérien, nos ports et nos aéroports, jamais personne ne viendra toucher à ça. Ce sont nos fondamentaux, c’est notre projet politique. On s’est battu, on continuera à se battre quelques soient les écueils ou l’avis d’un représentant de l’Etat ou d’un ministre. Il faut qu’ils comprennent : on ne lâchera rien ! Il y a des personnels, des familles. Aujourd’hui, c’est la CCI. Demain, ce sera Air Corsica. Après demain, ce sera les compagnies maritimes. Et on ne devrait rien dire ! ». Il félicite le président Simeoni de sa « petite colère » et juge qu’il « n’a pas trainé ! On s’est concerté, on a trouvé des points d’équilibre. Ce SMO est une transition qui convient à tout le monde, à la CCI, à la CDC ». Dans la foulée, Jean-Félix Acquaviva riposte à Avanzemu : « Tous les territoires sont représentés dans cette assemblée pour décider des orientations stratégiques des SMO. Et puis, il y a une chambre des territoires, un Comité de massif qui est un Parlement de la montagne. Nous espérons que les petits calculs, qui ont pu créer cette petite entorse au fil qui a débuté avec la loi PACTE, ne reviendront pas dans la dernière ligne droite. Il ne faudrait pas qu’ils déstabilisent un ensemble qui a eu le sentiment des forces politiques, économiques et sociales de divers horizons ».

Des principes actés
Face aux critiques, le président de l’Exécutif refait la genèse du combat et liste les acquis. « Nous avons progressé de façon significative, même si nous ne sommes pas arrivés au bord du chemin. Aujourd’hui est acté, gravé dans le marbre, le principe fondamental de la maitrise par la puissance publique corse des infrastructures aéroportuaires et portuaires. Ce principe n’est mis en œuvre dans aucun territoire de l’Union européenne. Nous créerons un précédent et une situation d’exception. Ce chemin innovant et exceptionnel contrarie des appétits et des lobbies économiques puissants non seulement en France, mais à l’échelle européenne et internationale. La portée de ce dossier dépasse de loin la Corse, ce qui explique beaucoup de difficultés que nous rencontrons ». A la droite et à Avanzemu, il rétorque : « Si j’avais été fautif ou en situation de carence, si la thèse que vous présentez était la bonne, vous pensez que l’Etat ne m’aurait pas dit : « Qu’avez-vous fait depuis quatre ans ? » ! Ils ne l’ont jamais dit parce que j’ai toujours été au rendez-vous du travail et que c’est l’Etat qui n’a pas répondu pendant 4 ans ». Il interpelle Paul-Félix Benedetti : « Quand j’entends un nationaliste comme vous me faire un grief que l’Etat et le gouvernement ne me font pas parce qu’ils savent qu’il est inexistant. Les Corses apprécieront ». Sur sa colère déclenchée suite aux propos du SGAC : « Je suis un homme de paix, je ne suis pas un homme de capitulation et de renoncement. Lorsqu’on reprend la parole de l’Etat et du gouvernement sur les dossiers qui représentent les intérêts vitaux des Corses, c’est une déclaration de guerre à la Corse, je ne l’accepte pas ! Les élus de la CCI, les salariés, les personnels ne l’ont pas accepté. Ils ont mis en œuvre un mouvement de grève spontané que nous avons soutenu. S’ils ne l’avaient pas fait, aujourd’hui, on ne parlerait de rien ». Gilles Simeoni prévient que le chemin reste incertain : « La question du SMO ouvert avec quasi régie ascendante dans ses modalités techniques n’est pas validé par le gouvernement. Il a donné une validation de principe pour l’examiner et émis des réserves juridiques qui ne m’ont pas été communiquées. La solution pérenne implique qu’on sera d’accord sur le contenu de l’établissement public, et que l’on trouve un véhicule législatif dans le climat politique national actuel ». Les amendements de Core in Fronte et Avanzemu ont, tous, été rejetés et renvoyés à la session de novembre. « Ce vote doit se faire sur des projets de statuts identiques et des délibérations concordantes à ceux de la CCI, pour être valable », avait averti le président Simeoni. Le rapport a été adopté à l’unanimité.
 
N.M.