13 juin 1981, neuf ans après la finale perdue contre l'OM, le SECB remporte la Coupe de France face à la prestigieuse équipe de Saint-Etienne. Au-delà de l'aspect sportif, ce succès trois ans après l'épopée européenne se décline sur un tout autre terrain. Didier Rey y revient dans son livre "1981 - le Sporting, une Coupe de France aux couleurs du peuple corse", paru début octobre aux éditions midi-pyrénéennes
Ce très court ouvrage, paru aux éditions Midi-Pyrénéennes, met en perspective tout ce que ce succès a évoqué dans l'île avec une évidente dimension politique à un moment où la Corse, du début des années 1980, place ses espoirs dans la présence d'un Président de gauche à la tête de la France. Un opuscule qui retrace également la difficile intégration du football corse dans le giron hexagonal et par la même occasion cette sensation de ne pas être tout à fait Français. Le regard d'universitaire et d'historien de Didier Drey apporte un éclairage particulier à cette date du 13 juin 1981.
- Didier Rey vous venez de publier un opuscule sur le thème « 1981 - le Sporting une Coupe de France aux couleurs du Peuple Corse. À quoi correspond cet ouvrage ?
- Il correspond à un double constat : d’une part, il n’existait aucun ouvrage sur cette victoire et, d’autre part, cette victoire a longtemps été, en quelque sorte « mal aimée » dans le sens où la défaite européenne de 1978, après une très belle épopée mais une défaite quand même, était bien plus valorisée que 1981, j’ai voulu savoir pourquoi.
- À sa lecture on ressent bien que le parcours du football corse dans le giron français n'a jamais été simple bien au contraire ?
- En effet, l’intégration aux compétitions nationales, ardemment souhaitée par les Corses, n’est acceptée qu’en 1959, mais dans des conditions et des modalités traumatisantes. En effet, cette année-là est créé un nouveau Championnat de France amateur (CFA) qui comprend les équipes françaises et celles de l’Algérie coloniale. Cependant, la composition des poules exclut de facto la Corse de toute participation au nouveau championnat, puisqu’il ne mentionne que 16 champions de division d’honneur, et non 17. L’émotion est vive dans l’île, et pas seulement dans le monde du ballon rond : cette décision est vécue comme un véritable ostracisme, une négation de l’appartenance de la Corse à l’ensemble national. Finalement, le Sporting est accepté en CFA. Mais, à peine obtenue, cette participation est aussitôt assortie d’une restriction : tant qu’une équipe insulaire figurera dans le CFA, nulle autre ne pourra y accéder. Aucune autre ligue n’est soumise à pareille discrimination. Et ce, sous un prétexte fallacieux : le coût des déplacements dans l’île pour les clubs continentaux - un seul par an pour chaque équipe - ; ceux du Sporting, qui voyage un match sur deux au cours de la saison, n’entrant pas en ligne de compte ! Au contraire, en 1965, devenus professionnels, le SCB et l’ACA sont acceptés sans difficulté en Deuxième division parce qu’ils sont, à l’époque, parmi les clubs aux caisses pleines. Mais alors, les joueurs et les publics insulaires se voient régulièrement mis à l’index pour leurs pratiques jugées incompatibles avec la pratique du football. Les choses s’arrangeront progressivement par la suite, mais les clubs insulaires conserveront toujours une image quelque peu sulfureuse.
- En quoi cela a-t-il eu un impact sur la notion même d'appartenance à l'ensemble français ?
- En lieu et place de l’image d’égalité et de ressemblance tant souhaitée, les Corses reçoivent celle – alors totalement inconcevable - d’une altérité pouvant aller jusqu’au déni de francité. Un tel contexte provoque une déstabilisation majeure des référents culturels de l’identité française des Corses, jusque-là considérés comme « naturels ». Il en résulte un sentiment de victimisme d’autant plus profond que la composante insulaire de cette identité se voit sans cesse décriée par les acteurs continentaux du football et des médias, comme inconciliable avec les fondements culturels de l’identité nationale. Confusément, en voyant la désinvolture avec laquelle sont traités les arguments qui, hier encore, les soudaient à la France, les insulaires perçoivent que leur appartenance à la communauté nationale est remise en cause. Tout cela alors même que le nationalisme corse fait progressivement son retour sur la scène politique, alimentant plus encore le trouble et l’incompréhension.
- L'épopée européenne du SECB (77-78) à l'époque où les maillots européens sont vierges de toute publicité revêt une symbolique évidente. Deux ans après Aleria et un peu plus d'un an après la création du FLNC, les maillots bastiais affichent la tête de Maure qui rallient les Corses …
- Oui, c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce maillot est comme une forme de réponse identitaire positive aux dénigrements quasi permanents - ou ressentis comme tels - des médias et des instances nationales ; la preuve que le football corse peut aussi produire le meilleur.
- Dans ce cadre le succès en Coupe de France en 1981 est encore plus fort à un moment où la Corse entre dans une période porteuse de bien des espoirs ?
- En effet, beaucoup d’espoirs sont placés dans cette période du printemps 1981. Le premier Président de gauche de la Ve République a promis de libérer la centaine de prisonniers politiques insulaires, de valoriser la langue et la culture corses et de doter la Corse d’un statut particulier, laissant entrevoir la possible fin du cycle attentats/répression qui marque l’île depuis le mitan des années 1960. Des manifestations de joie intense, donc, pour rappeler au président François Mitterrand ses promesses ; le Sporting comme ambassadeur et aiguillon du renouveau politique et culturel de la Corse, en quelque sorte.
- Didier Rey vous venez de publier un opuscule sur le thème « 1981 - le Sporting une Coupe de France aux couleurs du Peuple Corse. À quoi correspond cet ouvrage ?
- Il correspond à un double constat : d’une part, il n’existait aucun ouvrage sur cette victoire et, d’autre part, cette victoire a longtemps été, en quelque sorte « mal aimée » dans le sens où la défaite européenne de 1978, après une très belle épopée mais une défaite quand même, était bien plus valorisée que 1981, j’ai voulu savoir pourquoi.
- À sa lecture on ressent bien que le parcours du football corse dans le giron français n'a jamais été simple bien au contraire ?
- En effet, l’intégration aux compétitions nationales, ardemment souhaitée par les Corses, n’est acceptée qu’en 1959, mais dans des conditions et des modalités traumatisantes. En effet, cette année-là est créé un nouveau Championnat de France amateur (CFA) qui comprend les équipes françaises et celles de l’Algérie coloniale. Cependant, la composition des poules exclut de facto la Corse de toute participation au nouveau championnat, puisqu’il ne mentionne que 16 champions de division d’honneur, et non 17. L’émotion est vive dans l’île, et pas seulement dans le monde du ballon rond : cette décision est vécue comme un véritable ostracisme, une négation de l’appartenance de la Corse à l’ensemble national. Finalement, le Sporting est accepté en CFA. Mais, à peine obtenue, cette participation est aussitôt assortie d’une restriction : tant qu’une équipe insulaire figurera dans le CFA, nulle autre ne pourra y accéder. Aucune autre ligue n’est soumise à pareille discrimination. Et ce, sous un prétexte fallacieux : le coût des déplacements dans l’île pour les clubs continentaux - un seul par an pour chaque équipe - ; ceux du Sporting, qui voyage un match sur deux au cours de la saison, n’entrant pas en ligne de compte ! Au contraire, en 1965, devenus professionnels, le SCB et l’ACA sont acceptés sans difficulté en Deuxième division parce qu’ils sont, à l’époque, parmi les clubs aux caisses pleines. Mais alors, les joueurs et les publics insulaires se voient régulièrement mis à l’index pour leurs pratiques jugées incompatibles avec la pratique du football. Les choses s’arrangeront progressivement par la suite, mais les clubs insulaires conserveront toujours une image quelque peu sulfureuse.
- En quoi cela a-t-il eu un impact sur la notion même d'appartenance à l'ensemble français ?
- En lieu et place de l’image d’égalité et de ressemblance tant souhaitée, les Corses reçoivent celle – alors totalement inconcevable - d’une altérité pouvant aller jusqu’au déni de francité. Un tel contexte provoque une déstabilisation majeure des référents culturels de l’identité française des Corses, jusque-là considérés comme « naturels ». Il en résulte un sentiment de victimisme d’autant plus profond que la composante insulaire de cette identité se voit sans cesse décriée par les acteurs continentaux du football et des médias, comme inconciliable avec les fondements culturels de l’identité nationale. Confusément, en voyant la désinvolture avec laquelle sont traités les arguments qui, hier encore, les soudaient à la France, les insulaires perçoivent que leur appartenance à la communauté nationale est remise en cause. Tout cela alors même que le nationalisme corse fait progressivement son retour sur la scène politique, alimentant plus encore le trouble et l’incompréhension.
- L'épopée européenne du SECB (77-78) à l'époque où les maillots européens sont vierges de toute publicité revêt une symbolique évidente. Deux ans après Aleria et un peu plus d'un an après la création du FLNC, les maillots bastiais affichent la tête de Maure qui rallient les Corses …
- Oui, c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce maillot est comme une forme de réponse identitaire positive aux dénigrements quasi permanents - ou ressentis comme tels - des médias et des instances nationales ; la preuve que le football corse peut aussi produire le meilleur.
- Dans ce cadre le succès en Coupe de France en 1981 est encore plus fort à un moment où la Corse entre dans une période porteuse de bien des espoirs ?
- En effet, beaucoup d’espoirs sont placés dans cette période du printemps 1981. Le premier Président de gauche de la Ve République a promis de libérer la centaine de prisonniers politiques insulaires, de valoriser la langue et la culture corses et de doter la Corse d’un statut particulier, laissant entrevoir la possible fin du cycle attentats/répression qui marque l’île depuis le mitan des années 1960. Des manifestations de joie intense, donc, pour rappeler au président François Mitterrand ses promesses ; le Sporting comme ambassadeur et aiguillon du renouveau politique et culturel de la Corse, en quelque sorte.


