Kiffaanngissuseq : l’aventurier corse Frank Bruno publie son récit du Groenland

Rédigé le 25/12/2025
Léana Serve

20 ans après sa première expédition en Arctique, l’aventurier corse Frank Bruno publie Kiffaanngissuseq - Jusqu'au bout de mes rêves, un récit dans lequel il revient sur le lien profond qu’il a tissé avec le Groenland, et notamment avec le petit village d’Oqaatsut et ses habitants.

Photo : Facebook / Fra Bru

« L’homme de la liberté ». C'est ainsi que les chasseurs du petit village d’Oqaatsut, à l’ouest du Groenland, appellent Frank Bruno. Un surnom que l’aventurier corse, qui vit une partie de l’année en Arctique, porte tatoué sur l’avant-bras gauche. Au début du mois de novembre, il en a fait le titre de son dernier livre, Kiffaanngissuseq - Jusqu'au bout de mes rêves (kiffaanngissuseq signifiant « liberté » en groenlandais), publié aux Éditions Maïa. Un récit dans lequel il raconte la région qui l’a adopté il y a près de 20 ans. « En 2005, je traversais l'Atlantique à la rame. À bord de ce bateau, j'avais embarqué le livre de Gilles Elkaïm, qui avait fait le tour du cercle polaire en quatre ans. Ça m’a bouleversé. Quand je suis rentré, des militaires russes, Victor Boyarsky et Victor Serov, voulaient aller au Pôle Nord avec moi, et j’ai accepté. »
 
À des milliers de kilomètres de là, l'aventurier français Nicolas Dubreuil, tombé dans les eaux du Groenland et rapatrié en France avec mains et pieds gelés, voit à la télévision « un fou furieux qui traverse un océan à la rame et qui monte à pied au Pôle Nord avec une jambe en moins » (Frank Bruno est amputé d’une jambe depuis un accident sur le porte-avions Foch, ndlr). Après un premier contact entre les deux hommes, Nicolas Dubreuil l’invite quelques mois plus tard à traverser la calotte glacière. « Quand j’arrive sur le lieu du départ, j’avais l’impression d’être chez moi. Pourtant, je suis méditerranéen dans l’âme, avec un père toscan et une mère corse », raconte-t-il.
 

L’arrivée à Oqaatsut
 
Après cette traversée, Frank Bruno continue de se rendre régulièrement au Groenland, avant d’arriver pour la première fois à Oqaatsut, petit village de 18 habitants à l’ouest du pays. « J'ai eu un coup de foudre et j'ai acheté une maison. » Là-bas, il découvre un peuple, les Kalaaleq, et notamment Steen, qu’il considère comme son « frère d’adoption ». Il redécouvre aussi « une chose qu'on a perdu complètement ici : l'instant présent ». « Quand ils me disaient qu’on allait chasser, je faisais l’erreur de leur demander : “quand ?” C’est un mot qui les dépasse complètement. » Mais ce qui le frappe aussi, c’est le silence de ce peuple. « Un jour, je suis arrivé pour l’anniversaire de ma grand-mère d’adoption. Le petit hameau était rempli de bateaux. Mais quand je suis arrivé chez elle, il y avait 200 personnes à peu près, mais pas un bruit, parce que c'est le peuple qui ne parle pas. Ils étaient dans une relation de silence, de vibration, et ça m'a marqué. »
 

Un silence qu’il considère comme « fracassant ». « Le Groenland est vraiment le pays du silence. Dans le livre, j’ai fait cette répétition un peu comme un mantra, parce que si on doit dire un seul mot du Groenland, la plupart vont parler des icebergs ou des baleines, alors que le Groenland, c'est le silence avant tout. Vous vous posez sur un promontoire et il n'y a rien. De temps en temps, vous entendez un petit bruit, c'est le souffle d'une baleine, ou alors une explosion, c'est un iceberg qui se brise. Et puis d'un coup, le silence de nouveau. »
 

Un pays à protéger
 

Frank Bruno n’est pas seul à parler du Groenland. À la fin de son livre, il a souhaité laisser la parole à ses amis, comme Véronique Millet-Stefani, Bixente Lizarazu ou Frédéric Parise, pour « qu'ils amènent leur manière de voir le Groenland sans jamais y vivre ». Un « endroit incroyable » qui doit être protégé. Au fil de son récit, l’aventurier dénonce aussi le tourisme, de plus en plus présent en Arctique et dont les conséquences sur les populations sont nombreuses. « Vous avez des paquebots de croisiéristes qui arrivent et qui mettent à l’eau des petits bateaux pour aller visiter les villages. Ils sont une cinquantaine à arriver dans un village de 18 habitants et ils bombardent tout le monde de photos. Les habitants vivent reclus dans leur maison. Un jour, je suis allé voir ma grand-mère d’adoption et elle pleurait. Je lui ai dit de sortir prendre le soleil, qui est tellement rare là-haut, et elle m’a dit un mot : “touristes”. Les gens qui vont au Groenland vont au zoo, et c'est insupportable pour moi. »

Avec ce livre, Frank Bruno souhaite faire comprendre qu’il faut « arrêter d’être des touristes et devenir des voyageurs ». « Asseyez-vous, regardez et prenez l'instant présent. Par exemple, si vous arrivez en Corse en hiver, que vous allez dans un village sans appareil photo et que vous discutez avec quelqu’un pour lui demander comment dire bonjour ou merci en corse, quelque chose va se passer. C’est ça le voyage. »