« Bienvenue en enfer » : le récit bouleversant d’Isaline Choury Amalric, militante corse arrêtée lors de la flottille pour Gaza

Rédigé le 13/10/2025
Patrice Paquier Lorenzi

Revenue à Ajaccio après son arrestation par l’armée israélienne, la militante de 82 ans livre un témoignage poignant sur les violences et humiliations subies lors de sa détention. Elle était partie le 30 septembre dernier pour une mission humanitaire avec pour objectif de briser le blocus de Gaza, puis interceptée le 8 octobre en pleine mer par l’armée israélienne. Un récit qui éclaire, au-delà de son cas, la brutalité du blocus et l’engagement indéfectible d’une femme pour la paix.

Isaline Choury Almaric a tenu à témoigner après son incarcération en Israël.

Dimanche 12 octobre, à l’aéroport d’Ajaccio, une cinquantaine de personnes attendaient son retour. Militants du collectif "Pour une paix juste et durable au Proche-Orient", membres de "Per a Pace", de "La France Insoumise", du "Parti communiste", de la CFDT ou encore de la "Ligue des droits de l’homme" : tous étaient venus accueillir Isaline Choury Amalric, 82 ans, militante pacifiste corse arrêtée quelques jours plus tôt au large de Gaza. Le 8 octobre, la flottille humanitaire à laquelle elle participait avait été interceptée en mer par l’armée israélienne. L’objectif de cette mission : briser le blocus de Gaza et acheminer une aide symbolique vers la population palestinienne.
 
Une interception violente en pleine nuit

Revenue aujourd'hui à Ajaccio, Isaline Choury Amalric a tenu à témoigner et à raconter une opération militaire soudaine et impressionnante : « En pleine nuit, un hélicoptère est arrivé. Des soldats en armes ont descendu en rappel sur le pont, comme s’ils affrontaient une armée. Nous étions non violents, préparés à ne pas répondre à la provocation. » Les militants, préparés à la désobéissance pacifique, avaient convenu de rester calmes. « Les soldats étaient très jeunes, confus, perdus. L’un d’eux m’a laissée fumer une cigarette sur le pont quelques minutes, il me regardait avec des yeux d’enfant », confie-t-elle. Mais à l’arrivée au port, le cauchemar commence.
 
« Bienvenue en enfer »

« On m’a tendu un piège, on m’a enlevé mes chaussures, puis conduit devant un médecin qui a dit qu’il voyait quelque chose au cœur. J’ai cru qu’on m’amenait à l’hôpital, mais j’ai été jetée dans une voiture de police. ». Menottée « si fort qu’elle a crié de douleur », Isaline décrit un trajet ponctué d’insultes et de coups. « Et comme ils ne veulent pas laisser de traces, il a légèrement desserré mes menottes, et là a commencé un calvaire ». Arrivée dans ce qu’on lui présente comme un hôpital, elle raconte une scène de terreur : « Un homme m’a posé des électrodes sur le corps, a prélevé un peu de sang, puis est parti. Un policier fou tournait autour de moi, hurlant “Bienvenue en enfer !” en traduisant sur son téléphone. ». Seule, sans avocat ni témoin, elle dit avoir subi des violences physiques et psychologiques. « Je pensais que j’allais mourir », confie-t-elle, évoquant un calvaire qu’elle compare aux heures les plus sombres de l’Histoire.

« Ils peuvent nous tuer, mais pas éteindre notre flamme »

Pour ne pas sombrer, la militante s’est raccrochée à la mémoire de sa famille, marquée par la déportation. « Je répétais les mots de ma tante (la résistante Danielle Casanova, ndlr) : “Ils peuvent nous tuer, mais ils ne nous raviront jamais la flamme qui réchauffe nos cœurs » Un mantra qui l’a aidée à tenir face à ce qu’elle qualifie de torture morale et d’humiliation délibérée. Après son transfert dans un centre de détention, elle évoque des conditions effroyables : « Des lits en fer rouillés, de l’eau rougeâtre, rien à boire ni à manger, des cages en plein soleil entourées de barbelés. » Selon son récit, le consul français n’aurait pu voir qu’une seule personne avant d’être écarté par les autorités israéliennes.
 
« Si moi, une vieille femme, ai subi cela… »
Revenue à Ajaccio, Isaline Choury Amalric a vu un médecin et s’apprête à consulter un psychologue pour surmonter ce qu’elle appelle « un traumatisme profond ». Ses avocats ont déposé plainte et transmis les certificats médicaux nécessaires. « Le médecin m’a dit de ne pas oublier, mais de témoigner. C’est ce que je fais. Si moi, une femme âgée, ai subi cela, imaginez ce que vivent les Palestiniens. » Depuis son adolescence, Isaline Choury Amalric s’engage contre les injustices. Elle se souvient avoir manifesté pendant la guerre d’Algérie, avoir vu les violences policières du 17 octobre 1961 à Paris. « J’ai compris que le “plus jamais ça” de l’après-guerre ne s’appliquait pas à tout le monde. ».
 
Militante infatigable pour les droits humains, elle rejette toute accusation d’antisémitisme. « Je lutte depuis toujours contre toutes les formes de haine. ». Le retour d’Isaline Choury Amalric en Corse a suscité une vague d’émotion et de solidarité. Pour beaucoup, son témoignage rappelle la nécessité d’un regard critique sur les méthodes d’interception de la flottille et sur la situation humanitaire à Gaza. « Ce que j’ai vécu, c’était fou, inhumain. Le monde doit savoir. »