Corte - Quand "u Lavu di a Matra" permettait d'irriguer les jardins

Rédigé le 31/08/2025
Mario Grazi

Les toponymes liés à Corte se trouvent déjà sur le plan Terrier de la Corse édité à la fin du XVIIIe siècle. Si l’on y trouve des noms comme Bagna, Ficaghjola ou encore Sarravone, les noms des différents trous d’eau fréquentés l’été par les Cortenais en sont absents, et pour cause. Ces pozzi ont été baptisés bien plus tard. Et parmi eux, il est un site, certainement le plus connu, c’est u Lavu di a Matra appelé aujourd’hui, à tort bien sûr, Lave Matre… Une belle hérésie ! Il est donc important de rétablir la vérité, pour les jeunes générations et celles à venir.

Ce tout petit ouvrage au Lavu di a Matra permettait de détourner un peu d'eau pour irriguer les jardins de Bagna et Baliri, en aval. (Photos Gustave Pantalacci)

Depuis la nuit des temps, l'eau a été un bien précieux pour les communautés villageoises. Grâce à des conduites souterraines, elle était amenée depuis une ou plusieurs sources jusqu'aux villages pour une distribution vers les fontaines ainsi que les lavoirs. Mais cette eau était aussi utilisée pour alimenter les potagers. Ces canaux d'irrigation, fort ingénieux d’ailleurs, étaient construits en pierre et chacun pouvait donc arroser son jardin. Les femmes étaient généralement concernées par cette tâche, d’après l’historien Jean Suberbielle qui le relate dans l’un de ses ouvrages : Corte et l’histoire des Cortenais.

​Mais généralement, et lorsque cela le permettait, cette eau provenait des rivières. Les canaux étaient alors construits à l'air libre sur plusieurs centaines de mètres, voire même sur plusieurs kilomètres ! C'est le cas donc à Corte avec les fameuses piove que l'on découvre encore aujourd'hui en se rendant au Lavu di a Matra, entre autres. Ce canal d'irrigation était destiné à l'arrosage des jardins de Bagna et de Baliri jusqu’au début des années 1980.
Il a été construit à partir du petit lavu di a matra. Chaque année, il était entretenu et restauré grâce à des operate conduites, bien sûr, par les jardiniers eux-mêmes. Malheureusement, aujourd’hui cette piova est abandonnée. À l'époque où ce canal a été construit, on a également dressé un petit ouvrage entre les deux pozzi, « ou lacs », comme on dit à Corte. Si les grands barrages se traduisent en langue corse par matrale, en revanche cette petite structure permettant de détourner un peu d'eau de la rivière s'appelle effectivement a matra. Voilà donc l'explication pour le nom donné à ce coin de baignade tant apprécié des Cortenaises et des Cortenais depuis des lustres. Il est donc nécessaire d’oublier très vite ces noms ridicules donnés à ces trous d’eau comme Lave Matre, Lavu Matre ou encore Lavu di e Matre.
U lavu di a matra est donc la bonne orthographe à donner à ce lieu de rendez-vous estival avec le grand et le petit lac. Précisons également que l'on ne dit pas a pienonda, mais bien a piennone pour parler de ce rocher surplombant le Lavu di a Matra d'où certains se risquent à plonger. Cela fait bien sûr référence à une crue centennale qui avait touché le haut du rocher. Mais le plus absurde est que ce nom Lavu Matre est inscrit sur un panneau indicateur à l'entrée de la vallée du Tavignani ! Il serait bon de rétablir la vérité au plus vite...


 

D’autres sites de Corte ont été débaptisés et l’on entend régulièrement parler du pont du cinéma, du pont de la gare, des pierres plates ou encore du pozzu de culi trè. Tous ces sites ont un nom précis et une histoire. L’oublier, c’est aussi oublier l’histoire de sa ville. On dira donc : pont neuf, pont Diunisu, Nucaria (dans la vallée de la Restonica) en enfin pozzu di e codi trèmule (entre Baliri et u Lavu di a Matra), en référence à la mésange à longue queue qui y niche.
Il est vrai qu'avec le temps, de nombreux sites ont été débaptisés. Et il serait bon que les anciens transmettent le vrai toponyme aux plus jeunes. Histoire de ne pas perdre totalement notre patrimoine !

Quelle belle hérésie! Ce panneau doit être modifié au plus vite...