Pioggiola - Des vendanges à près de 850 mètres d’altitude

Rédigé le 01/10/2025
Maria-Serena Volpei-Aliotti

C’est un moment à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire agricole du Ghjunsani, de la Balagne et la Corse toute entière. Ces jours-ci, les toutes premières vendanges se déroulent sur les hauteurs de Pioggiola, à près de 850 mètres d’altitude. Un pari inédit porté par Pierre Acquaviva, Marc’Andria Acquaviva, son fils, et toute l’équipe du domaine Alzipratu, qui signe ici une toute page nouvelle de la viticulture corse. Celle de la viticulture en montagne.

C’est un moment à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire agricole du Ghjunsani, de la Balagne et la Corse toute entière
 
Autour de la famille Acquaviva et de son équipe, une cinquantaine de personnes rassemblées pour ce moment singulier. Paisani, amis, élus, bénévoles ou simples curieux ont prêté main forte, dans une atmosphère à la fois festive et symbolique.
 
« On est une cinquantaine aujourd’hui. Il y a ceux d’Alzipratu, mais aussi les gens du village, les deux maires de la piève. Certains sont venus simplement parce qu’ils croyaient à la démarche, et cela nous touche beaucoup », explique Pierre Acquaviva.
 
Une première historique
Cette récolte vient concrétiser un pari audacieux, celui de planter de la vigne dans une zone où elle avait disparu depuis des décennies.
« De la vigne dans ces conditions, cela ne se fait plus en Corse. On remet en marche quelque chose qui avait existé. C’est un retour à une ruralité vivante». 
Pour le vigneron, il s’agit d’un double accomplissement. « C’est une vraie satisfaction professionnelle, car la vigne a validé les conditions qu’on était venus chercher ici. Un climat plus frais, une maturation lente. Et en tant que citoyen corse, c’est un bonheur de partager cela avec les gens du coin». 
 
Le pari du climat et des cépages corses

Les vendanges se poursuivront jusqu’à début octobre, soit plus d’un mois après celles du vignoble de Calenzana. Une différence qui illustre les effets positifs de l’altitude sur les cycles végétatifs.
« Nous, à Calenzana, on a commencé les vendanges à la mi-août. Ici, on retrouve les conditions que nous avions en bas, il y a quarante ans. Pour le moment, le pari climatique est réussi. On attend le pari qualitatif », note le viticulteur.
Sur les 2,5 hectares plantés, soit six parcelles qui accueillent des cépages corses ancestraux . Sciaccarellu, Vermentinu, Minustellu et Genovese.
« Le Sciaccarellu s’est très bien comporté, le raisin est beau, équilibré, à la fois sucré et acide. Le vermentinu est au bon stade. Il reste à ramasser le minustellu, plus tardif. Ce sera pour les dix premiers jours d’octobre ». 
Les vignes, conduites en gobelet sur échalats, ont été plantées au milieu des châtaigniers, dans une démarche d’agroforesterie.
« On voulait revenir aux gestes ancestraux, pas importer un système moderne. Ici, on plante autour des arbres. On remet de la diversité, on redonne vie au sol».
 
Un vin à déguster dès le printemps

Si les premiers raisins sont prometteurs, le vigneron reste prudent.
« On espère de bons vins. Les anciens nous ont dit qu’autrefois, le vin du Ghjunsani était de mauvaise qualité, parce qu’il faisait trop froid. Aujourd’hui, le climat a changé. On a peut-être juste la fenêtre pour que ça marche». 
Les premières dégustations devraient avoir lieu dès février ou mars prochains.
« Dans un mois, on aura déjà une idée après fermentation. Ensuite, il faudra ajuster. C’est un apprentissage, mais on a l’ambition de faire des vins savoureux, peut-être même d’ouvrir une voie pour d’autres».
 
Un village rassemblé autour d’un projet

Pour le maire de Pioggiola, Antone Casanova, ce projet dépasse le seul enjeu viticole.
« Nous sommes très fiers. Ce vignoble valorise Pioggiola et tout le Ghjunsani. Quand Pierre Acquaviva est venu nous voir, on a tout de suite été convaincus. C’est une chance pour l’agriculture et pour nos terres».
Le maire rappelle aussi l’impact écologique et paysager.
« Ces terrains étaient à l’abandon, envahis de ronces. Aujourd’hui, ils sont débroussaillés, entretenus, les châtaigniers élagués et sauvés. C’est un véritable renouveau rural ».
 
Le site fait désormais partie des 20 zones expérimentales suivies par le CRVI, le centre de recherche viticole de Corse, pour observer le comportement de la vigne en altitude.
« Toutes les semaines, des chercheurs viennent suivre le développement des plants. Il y a aussi un intérêt scientifique», ajoute l’élu. 
 
Des vendanges conviviales
Entre les pieds de vignes, Angèle, habitante d’Olmi è Capella, savoure le moment. 
« On n’aurait jamais imaginé vendanger ici. C’est inédit ! Et puis c’est un vrai moment de partage», confiant au passage, « j’ai déjà goûté un raisin, il est très sucré, très bon ! »
 
Un nom encore secret
Si cette première cuvée marquera sans aucun doute un tournant dans la viticulture insulaire, son nom reste pour l’heure un mystère bien gardé.
« On a déjà une idée, mais … il est encore secret », glisse Pierre Acquaviva.
Mais s’il y a une chose de sûre, c’est que le Ghjunsani, depuis ses hauteurs, renoue avec son passé agricole et s’offre peut-être un nouvel avenir viticole.